Première séance du jeudi 05 novembre 2020
- Présidence de M. Hugues Renson
- 1. Projet de loi de finances pour 2021 (suite)
- Seconde partie (suite)
- Outre-mer (suite)
- Mission "Outre-mer" (état B) (suite)
- Amendement no 2048
- M. Olivier Serva, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
- Amendements nos 2055, 2053, 2049 et 2050
- M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
- Amendements nos 1963, 2051, 2205, 1956, 2208, 2157, 217, 2174, 2029, 448, 2056, 2202, 2206, 1905, 1898, 2054, 2155, 2194, 2200, 2203, 1199, 1187 et 1877
- Après l’article 55
- Suspension et reprise de la séance
- Immigration, asile et intégration
- M. Jean-Noël Barrot, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
- M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
- Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Pacôme Rupin
- M. Fabien Di Filippo
- Mme Isabelle Florennes
- M. Serge Letchimy
- Mme Aina Kuric
- Seconde partie (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Hugues Renson
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1. Projet de loi de finances pour 2021 (suite)
Seconde partie (suite)
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021 (nos 3360, 3399).
Outre-mer (suite)
M. le président
Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des crédits relatifs à l’outre-mer (no 3399, annexe 31 ; no 3400, tome XIII ; no 3404, tome V) , s’arrêtant à l’amendement no 2048.
Mission "Outre-mer" (état B) (suite)
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 2048.
M. Pascal Brindeau
Je le défends pour notre collègue Nicole Sanquer. Comme vous le savez, l’aide à la continuité territoriale permet la prise en charge partielle du titre de transport de nos concitoyens désireux de se rendre en Hexagone. Nicole Sanquer a rendu un rapport sur le sujet, dans lequel elle formule plusieurs recommandations auxquelles nous souhaitons que le Gouvernement soit attentif, d’autant que la continuité territoriale est l’un des seuls sujets concernant les outre-mer qui figurait dans le programme du Président de la République.
L’une des recommandations consiste à élever le plafond d’éligibilité à l’aide à la continuité territoriale en Polynésie française. En effet, seuls les Français résidant en Polynésie depuis plus de six mois et dont le quotient familial est inférieur à 14 108 euros sont éligibles à ce dispositif. En 2018, seuls 492 Polynésiens ont pu voir leur titre de transport pris en charge : malheureusement, trop de nos compatriotes se voient donc refuser l’accès à ce dispositif, dont il convient, par conséquent, de rehausser le plafond d’éligibilité.
M. le président
La parole est à M. Olivier Serva, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Nous avons déjà longuement échangé sur ce sujet hier soir. La continuité territoriale est un élément important de la politique en outre-mer, y compris aux yeux du Président de la République. Cette année, les crédits alloués à la continuité territoriale augmentent justement de 3 millions d’euros, soit le montant demandé dans votre amendement. Peut-être le ministre pourra-t-il nous apporter des précisions.
La commission ne s’étant pas prononcée sur cet amendement, j’émettrai à titre personnel un avis de sagesse.
M. le président
La parole est à M. le ministre des outre-mer, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
J’ai déjà longuement pris la parole hier soir au sujet de la continuité territoriale : je serai désormais plus bref dans mes avis.
En effet, cet amendement est déjà satisfait : comme l’a dit le rapporteur spécial, les crédits sont relevés à hauteur de 3 millions d’euros et, je l’ai dit hier soir, l’arrêté a été modifié. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
Effectivement, cet amendement est désormais satisfait, et nous remercions le Gouvernement d’avoir accédé à cette demande. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 2048 est retiré.)
M. le président
La parole est à nouveau à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 2055.
M. Pascal Brindeau
Présenté par notre collègue Philippe Dunoyer, cet amendement concerne les plafonds de revenus retenus dans la loi pour le développement en outre-mer de 2009, dite loi LODEOM. Ceux-ci ont en effet conduit à diviser par trois, entre 2011 et 2016, le nombre de Calédoniens pouvant bénéficier de l’aide à la continuité territoriale.
Les plafonds retenus apparaissent trop bas au regard du coût de la vie, qui est élevé en Nouvelle-Calédonie, si bien que cette aide ne concerne que des bénéficiaires qui ne pourraient de toute façon pas supporter le reste à charge d’un billet d’avion. Je vous rappelle qu’un aller-retour entre Nouméa et Paris coûte environ 1 500 euros, et que le montant de l’aide à la continuité territoriale prévu par l’arrêté du 13 février 2015 pour les résidents de Nouvelle-Calédonie est de seulement 160 euros pour une aide dite « simple », relevé à 530 euros si le quotient familial est inférieur à 10 000 euros. Il reste donc la bagatelle de 1 340 euros à la charge de l’usager. Le montant des aides est donc incohérent.
Nous nous interrogeons donc sur l’utilité de l’aide pour les ménages modestes, à qui l’on demande de supporter environ 1 000 euros par billet d’avion. Plusieurs tables rondes ont eu lieu sur ce sujet en 2020, et le ministre lui-même a reconnu qu’il existait un problème dans la détermination des plafonds de la prise en charge. Ainsi que nous y invite l’amendement, il faut donc trouver une solution par un décret, puisque c’est bien un acte réglementaire, et non la loi, qui fixe les modalités de prise en charge.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Le diable se cache souvent dans les détails… Même si la continuité territoriale est souvent prise en charge, il existe dans le cas d’espèce une sorte de d’injustice pour les ménages modestes.
Il s’agit ici, vous l’avez dit vous-même, d’un amendement d’appel. Le problème se réglera probablement par une autre voie que la voie législative. La commission n’a pas examiné cet amendement, mais j’ai bien entendu votre demande.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Même argumentaire que pour l’amendement précédent, puisqu’il s’agit des mêmes crédits et du même arrêté. L’amendement étant en partie satisfait, demande de retrait ou avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
Je note que le Gouvernement s’engage à traiter la question par la voie réglementaire, ce qui répond à la demande de notre collègue Philippe Dunoyer. Je retire donc volontiers l’amendement.
(L’amendement no 2055 est retiré.)
M. le président
Vous conservez la parole, monsieur Brindeau, pour soutenir l’amendement no 2053.
M. Pascal Brindeau
Il s’agit à nouveau d’un amendement de notre collègue Philippe Dunoyer relatif à la continuité territoriale.
Il vise à faire peser exceptionnellement sur l’État, pour renforcer la cohésion entre les différents territoires de la République ou entre les différents territoires éloignés ou enclavés d’une même collectivité, certains coûts de transports locaux normalement assurés par la collectivité territoriale compétente dans ce domaine.
Un tel financement existe déjà, notamment pour permettre les déplacements à prix maîtrisé entre les îles de Wallis et de Futuna, mais aussi pour assurer la continuité territoriale extérieure, permettant à la compagnie qui gère la délégation de service public de proposer un tarif spécial pour les vols en continuité d’un vol vers l’extérieur.
Par cet amendement, notre collègue Philippe Dunoyer souhaiterait permettre à l’archipel de la Nouvelle-Calédonie de bénéficier de la continuité territoriale pour les relations inter-îles. Malgré les subventions des provinces, le reste à charge des usagers reste en effet élevé. Il souhaiterait également que la continuité s’applique pour les liaisons régionales servant de porte vers l’international, comme Auckland, Osaka ou Sydney, comme c’est déjà le cas pour Wallis-et-Futuna ou Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il est à noter que s’agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, le projet de loi de finances prévoit que l’engagement financier de l’État, initialement de 13,7 millions d’euros sur cinq ans, sera diminué de 2,5 millions d’euros afin de tenir compte d’une baisse des tarifs de 25 % sur la liaison entre Saint-Pierre-et-Miquelon et Halifax, au Canada. Dans la mesure où le budget semble disponible, nous souhaiterions pouvoir faire bénéficier les Calédoniens d’une prise en charge similaire.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Nous avons déjà échangé hier soir sur ces sujets – la double insularité et l’enclavement au sein même de nos archipels. Il s’agit d’un véritable problème, auquel nous n’avons pour l’instant pas de réponse satisfaisante à apporter.
Comme le ministre l’a rappelé, il s’agit en principe d’une compétence non étatique, mais les collectivités ne peuvent l’assurer que de façon imparfaite – vous venez de le décrire. La commission ne s’est pas prononcée sur cet amendement, mais à titre personnel, je crois qu’il y a un chemin à coconstruire entre l’État et les collectivités territoriales, afin de pouvoir répondre à toutes les personnes vivant en outre-mer, y compris dans les contrées les plus reculées. Je suis donc favorable à votre amendement d’appel.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Comme je l’ai dit hier soir, nous devons être particulièrement cohérents sur cette question si nous ne voulons pas perdre le fil. Vous l’avez rappelé, les collectivités territoriales sont les autorités organisatrices de transport sur tout leur territoire, en outre-mer comme en Hexagone – cela concerne aussi les territoires du littoral breton ou de la façade atlantique, dont les conseils régionaux ou les intercommunalités doivent eux aussi assurer le transport avec un certain nombre d’îles et en assumer le coût.
Par conséquent, soit il s’agit d’une compétence décentralisée, et il revient alors aux collectivités d’assurer la charge et l’organisation des transports, soit il existe un problème de tarification, et il convient de traiter le sujet localement, soit il existe un problème de financement du dispositif, et il convient alors, là aussi, de le traiter localement, car bien souvent – et on ne le dit pas –, un impôt a été levé pour permettre de financer ces services publics.
Dans le cas des collectivités du Pacifique, il n’y a aucun doute : la compétence a été totalement transférée. Or, à ne pas se répartir correctement les rôles, à tout faire à moitié, on finit par mal faire les choses. Je le dis devant Maina Sage, qui a appelé hier mon attention sur les grandes compagnies aériennes, qui sont en ce moment en grande difficulté : en l’espèce, il relève bien du rôle de l’État et de la solidarité nationale de les accompagner, car le problème est bien plus grave et va au-delà de celui de la continuité territoriale. S’agissant des relations au sein des archipels, je reste convaincu que cette compétence a été complètement transférée, avec tous les moyens nécessaires. Certes, la compensation n’est pas à l’euro près, car les demandes de services publics vont grandissant.
Si on va jusqu’au bout de ce sujet, il faut se reposer la question de la répartition des compétences entre l’État et, respectivement, les différentes collectivités territoriales ou gouvernements locaux. Si on commence à financer sur le budget général de l’État des dispositions comme la continuité territoriale entre les îles, dans les autres missions budgétaires, des parlementaires de territoires ruraux ou des élus du littoral en Hexagone diront qu’ils doivent eux aussi équilibrer les transports entre deux territoires ruraux. Il faut donc faire très attention aux décisions que l’on prend.
J’aimerais bien accéder à la demande du député Philippe Dunoyer, avec qui j’étais encore la semaine dernière, dans la province des Îles Loyauté. J’ai entendu le questionnement de nos concitoyens sur ces sujets, mais il faut clarifier le rôle de chacun : si, au niveau national, nous voulons consacrer nos moyens et notre énergie à aider les compagnies aériennes, nous ne pouvons pas, en plus, financer la double continuité territoriale. Ou alors il faudra, comme nous y invitait le rapporteur spécial, reposer cette question de la répartition de la compétence transport dans le cadre du projet de loi relatif à la décentralisation, à la différenciation et à la déconcentration, dit 3D. Sans cela, nous allons brouiller les lignes.
Nous ne cessons de dire qu’à chaque strate doit correspondre une compétence et un niveau d’impôt, et là, on irait utiliser le budget de l’État pour financer la double continuité : en termes de gestion, ce n’est pas une bonne politique. Je ne nie pas le problème, ni les attentes sur le terrain, mais si nous voulons organiser correctement les choses, il faut faire attention. Dans la difficile période de crise que nous vivons et qui va perdurer dans les mois qui viennent, assurer la liaison entre Paris et les différents territoires d’outre-mer ne sera déjà pas une sinécure.
Je prends votre amendement comme un amendement d’appel, mais j’ai l’impression que cet appel revient chaque année, sans que jamais nous allions jusqu’au bout de nos phrases. Il faut poser une bonne fois pour toutes la question de la répartition des compétences. Demande de retrait.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
J’entends l’argumentation que vous développez, monsieur le ministre, et le parallèle que vous établissez entre les collectivités métropolitaines organisatrices de transport et les territoires d’outre-mer, qui se sont eux-mêmes vu transférer cette compétence. Seulement, vous comprenez bien que les enjeux ne sont pas les mêmes entre une île située à quelques kilomètres de la Bretagne et la situation insulaire des territoires d’outre-mer, notamment de la Nouvelle-Calédonie.
Comparaison n’est pas raison, mais il me semble que la Guyane bénéficie de ce dispositif. J’entends qu’il faille reposer la question de l’équilibre des compétences dans le cadre de la décentralisation – mais aussi, me semble-t-il, celle des moyens accompagnant les transferts de compétences. Vous l’avez rappelé, les moyens alloués lors du transfert de compétences le sont pour une année donnée, mais le développement de ces compétences conduit ensuite à des charges supplémentaires qui ne pèsent que sur les collectivités territoriales – d’où mon parallèle avec la situation que connaît la Nouvelle-Calédonie.
Je maintiens donc l’amendement.
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
Je vous remercie d’engager cette discussion. Monsieur le ministre, il y a eu ici, l’an dernier, un grand débat au sujet de la continuité territoriale. Je voudrais abonder dans le sens du rapporteur spécial, également président de notre délégation aux outre-mer.
Si le sujet revient souvent, c’est que nos collectivités ont tout simplement du mal à boucler leur budget. Il ne s’agit plus là de répartition des compétences, mais de compenser des surcoûts structurels liés aux conditions géographiques, à l’isolement, à la nature de nos territoires, à leur échelle : en Polynésie française, nous sommes moins de 300 000 habitants pour soixante-seize îles habitées et une superficie comparable à celle de l’Europe. Cela pose forcément le problème de la rentabilité, si je puis dire, des services de transport.
En Polynésie, nous avons instauré une autorité de la concurrence, réfléchi à la possibilité d’ouvrir certaines lignes à la concurrence, de conserver des obligations de service public. C’est un débat de fond : nous n’aurons jamais le temps de l’épuiser dans cet hémicycle. En revanche, nous sommes prêts à venir y participer ; peut-être faudrait-il que nous regardions comment les choses se passent dans certains territoires de l’Hexagone. Toujours est-il qu’il faut tenir compte de nos spécificités : l’éloignement, l’échelle, la population, mais aussi la discontinuité géographique.
J’insiste sur ce dernier point : en métropole, une commune rurale isolée a malgré tout quelques voisins avec qui monter un EPCI, un établissement public de coopération intercommunale, par exemple une communauté de communes. En Polynésie, il est très difficile de le faire. En 2008, lors du débat concernant le code général des collectivités territoriales, on nous a poussés à aller vers des communes associées ; dans les faits, mettre en commun des compétences est très compliqué lorsqu’il y a discontinuité géographique. Je présenterai d’ailleurs un amendement, dont je ne comprends pas pourquoi il n’a pas été placé à cette étape de la discussion,…
M. le président
Merci, madame Sage. Votre amendement viendra un peu plus tard : nous en reparlerons.
Mme Maina Sage
Nous en reparlerons, mais j’insiste sur le fait qu’il faut ouvrir le débat, aller au fond des choses, voir comment il serait possible de partager cette compétence.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
La continuité territoriale constitue un sujet récurrent, stable. Un groupe de travail, qui a repris des couleurs il y a peu, doit d’ailleurs apporter des réponses dans ce domaine. L’insularité est une réalité.
Pour répondre à Pascal Brindeau, ce n’est pas tout à fait le fric-frac habituel de la décentralisation qui arrive avec une enveloppe dont on sait que les fonds seront insuffisants pour répondre aux besoins. Quiconque a été élu local sait que ces choses arrivent. En revanche, il s’agit ici d’un sujet structurel, important, qu’il va bien falloir traiter tôt ou tard. Encore une fois, des travaux sont en cours : il faut leur laisser le temps de s’étoffer. C’est pourquoi le groupe La République en marche suivra l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
(L’amendement no 2053 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 2049.
M. Jean-Christophe Lagarde
Cet amendement dû à Nicole Sanquer s’inspire des recommandations qui figurent dans son rapport d’information sur la continuité territoriale. Il vise à appeler votre attention, monsieur le ministre, sur la bonne application de l’article L. 1803-4 du code des transports, consacré à la continuité territoriale intérieure.
Cet article prévoit que l’éligibilité à l’aide à la continuité territoriale intérieure sera soumise à conditions de ressources et de difficultés d’accès au territoire concerné. Seule la Guyane bénéficie aujourd’hui de ce dispositif : sans qu’il soit question de nier les particularités géographiques de celle-ci, d’autres territoires pourraient légitimement se le voir appliquer. Comment justifier que la Polynésie française, dont les 118 îles sont éparpillées sur une étendue équivalente à celle de l’Europe, ne puisse prétendre à cette aide, d’autant plus essentielle qu’elle favoriserait le désenclavement de ces îles et dynamiserait leur développement économique ? C’est en effet dans les plus éloignées d’entre elles que se concentre la pauvreté.
Monsieur le ministre, vous nous avez signifié qu’il s’agissait d’un problème récurrent, ce que tout le monde admet. C’est votre premier budget en tant que ministre des outre-mer ; ce n’est pas le premier pour nous, parlementaires. Justement, c’est parce que le problème est récurrent qu’il est grave ! D’année en année, on nous dit qu’il faut revoir l’ensemble du dispositif, la répartition des compétences, les moyens de compensation ; finalement, les choses n’avancent pas. Nous sommes pleinement conscients que la question ne peut être réglée dans le cadre d’une discussion budgétaire. La difficulté, la raison pour laquelle Nicole Sanquer a déposé cet amendement, Maina Sage vient de l’évoquer : en dehors du cadre budgétaire, jamais cette question n’est abordée. Par conséquent, monsieur le ministre, nous attendons de vous un engagement clair du Gouvernement à rouvrir ce débat, afin qu’il puisse aboutir.
En Polynésie française, lorsque vous êtes à Tubuai et que vous voulez vous rendre à Hiva Oa, vous faites l’équivalent d’un trajet Madrid-Oslo – et encore, avec une escale au milieu ! Bien évidemment, ce problème est plus grand pour certains territoires que pour d’autres ; nous ne le réglerons pas en répétant qu’il est récurrent – même si ce n’est pas à vous, monsieur le ministre, que je fais ce procès, mais plutôt à tous vos prédécesseurs.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Beaucoup a déjà été dit : j’en retiens que le ministre s’est déclaré tout disposé à mettre les choses à plat dans le cadre du projet de loi dit « 4D », qui devrait arriver au cours des prochains mois. Il a dit qu’il nous fallait terminer nos phrases. Je suis d’accord avec lui concernant la nécessité de finir nos phrases en matière de continuité territoriale outre-mer : elles restent inachevées depuis trop longtemps.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit ; je reste persuadé que ce problème est de nature structurelle et pose la question des compétences. Il ne s’agit pas là d’une phrase en l’air. On ne peut avoir demandé pendant trente ou quarante ans le transfert définitif, consacré par la Constitution, de certaines compétences de l’État aux collectivités du Pacifique, ce qui est au demeurant une bonne chose ; et, lorsqu’on ne parvient pas à financer certains services publics, en revenir au budget de l’État, sans cadre global.
S’agissant de ces compétences, cela soulève la question du principe de subsidiarité. C’est un bon sujet, car la continuité territoriale archipélagique n’est pas seule en cause : je vois poindre les mêmes interrogations concernant la CSPE – contribution au service public de l’électricité –, l’énergie en général et nombre d’autres sujets. Je propose donc au Parlement d’établir un bilan des transferts de compétences réalisés au cours des dernières années.
Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui, ces collectivités, eu égard à la crise, aux difficultés structurelles, n’arrivent plus à assumer intégralement certains services publics, certaines compétences, transférés au fil du temps. Je ne le reproche à personne, mais après une lame de fond autonomiste, légitime – n’étant guère jacobin, je me sens tout à fait à l’aise pour évoquer ces sujets –, force est de constater que nos réunions bilatérales entre territoires et Gouvernement sont souvent consacrées à des compétences qui n’appartiennent absolument plus à l’État. Le phénomène est intéressant. C’est sous cet angle qu’il faut considérer les choses.
Par ailleurs, en Guyane, environ 700 personnes bénéficient chaque année de l’aide à la continuité territoriale, pour un ticket moyen de 29 ou 30 euros. Soyons francs : on ne peut pas dire que ce soit un grand succès. Monsieur Lagarde, j’en reviens à l’amendement que vous défendez pour le compte de Mme Sanquer : l’instauration en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française d’un dispositif analogue efficace, c’est-à-dire faisant effet de levier, demanderait beaucoup plus que le million d’euros que vous proposez ; et même avec cet effet structurel, il reposerait la question de la concurrence. Édouard Fritch, le président de la Polynésie française, y revient souvent : le prix du billet dépend des flux, autrement dit de la capacité à générer beaucoup de billets pour réduire les coûts, mais aussi du degré de concurrence. Il existe des situations de monopole qui compliquent énormément les choses et que nous devons malheureusement régler nous-mêmes, car nous soutenons par ailleurs les compagnies en question.
Par conséquent, je souscris à vos propos, monsieur Lagarde : il s’agit d’un sujet global, que nous ne pouvons traiter en deux ou trois amendements dans le contexte d’une discussion budgétaire. Il soulève des questions structurantes, structurelles, qui s’étendent au-delà de la continuité territoriale, puisque nous les voyons surgir dans le domaine de l’énergie, où elles ne se posaient pas ces dix dernières années. En tout cas, merci pour ces amendements : ils mettent l’accent sur des difficultés d’organisation, qu’il nous faudra résoudre, entre l’État et les collectivités du Pacifique ; je ne parle même pas de la Nouvelle-Calédonie, où la répartition des compétences est d’une complexité plus redoutable encore.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Monsieur le ministre, je retiens votre engagement d’aborder de façon globale et structurelle ces problèmes qui, bien entendu, ne sont pas exclusivement polynésiens. Avant de retirer cet amendement, je voudrais seulement préciser que s’il portait sur 1 million d’euros, ce n’est évidemment pas parce que Nicole Sanquer ignorait qu’il en aurait fallu davantage, mais parce que, le Parlement étant paralysé par la logique et la technique budgétaires de la Ve République, nous ne pouvions nous permettre qu’un amendement d’appel visant à susciter le débat.
(L’amendement no 2049 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 2050.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
J’avais demandé la parole !
M. Jean-Christophe Lagarde
Là encore, il s’agit d’un amendement de Nicole Sanquer, issu des recommandations de son rapport ; mais il a trait à un sujet différent. Il vise en effet à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de fixer l’aide à la continuité territoriale sous la forme d’un pourcentage du titre de transport et non plus sous celle d’un montant forfaitaire. Cette demande est, semble-t-il, satisfaite par la présente mission, ce dont nous ne pourrions que nous réjouir, mais je souhaiterais en avoir confirmation.
Octroyer l’aide à la continuité territoriale en tant que part du titre de transport permettrait d’assurer son équité d’un territoire à l’autre, indépendamment du montant du titre. Le rapport de Nicole Sanquer indique en effet que cette aide représente en moyenne 40 % du prix du titre de transport dans les départements d’outre-mer et seulement 10 % dans les collectivités d’outre-mer. Cela se comprend bien : les billets sont beaucoup plus chers dans ces dernières, pour les raisons que vous avez évoquées, notamment l’éloignement. Le montant de l’aide étant forfaitaire, les bénéficiaires qui ont moins de distance à parcourir et achètent leur billet moins cher y sont plus aidés que les autres, ce qui n’est ni logique ni équitable.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Une nouvelle fois, monsieur Lagarde, vous avez raison. J’ai d’ailleurs retenu une proposition intéressante du ministre visant à évaluer l’effet des transferts de compétences sur la continuité territoriale. C’est un bon chemin en vue de tout remettre à plat et, pour le citer une fois encore, de terminer nos phrases à l’occasion du projet de loi 4D. C’est une bonne idée.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
À travers vous, monsieur Lagarde, je souhaiterais remercier les parlementaires de votre groupe UDI et indépendants qui se sont investis dans les groupes de travail que j’ai créés lorsque j’ai été nommé rue Oudinot, au ministère des outre-mer. Un certain nombre de préconisations sont ressorties de ces travaux.
Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable. Votre demande va en effet être satisfaite, non dans le cadre de la loi, mais par voie d’arrêté : la prise en charge sera portée à 40 % du prix du titre de transport. Nous le ferons savoir à Philippe Dunoyer, à Philippe Gomès, à Nicole Sanquer, qui ont participé à ces travaux en personne ou par l’intermédiaire de leurs assistants parlementaires. J’en profite pour saluer les autres députés qui se sont également investis afin de nous permettre de faire évoluer les choses dans le bon sens. Il faudra néanmoins, comme pour tous les dispositifs d’accompagnement individuel, évaluer le taux de recours et, si j’ose dire, le taux de succès de ces modifications.
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Je suis très heureux d’être rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour le budget de la mission « Outre-mer ».
Monsieur le ministre, je constate que lorsque nous discutons avec vous, lorsque nous vous proposons des amendements, vous nous renvoyez toujours à la répartition des compétences, à la législation, aux textes, que vous avez l’heur de très bien maîtriser. Hier, un de nos collègues a parlé de « colonisation » : cela vous a offusqué, blessé, au point que vous lui avez répondu vertement. Pourtant, vous ne pouvez ignorer que nous accusons des retards structurels qui n’ont jamais été rattrapés depuis 1946 – ainsi, je ne renvoie pas à la colonisation. En 1946, nous sommes partis avec des handicaps extraordinaires ; lorsqu’il s’est agi d’appliquer outre-mer les textes adoptés en métropole, il a été prévu pour nous ces fameux articles 73 et suivants de la Constitution, qui prévoient la possibilité de les adapter ou de différer leur application.
Aujourd’hui, toutes vos réponses nous ramènent à un problème de structuration de notre développement, de rattrapage réel, c’est-à-dire d’égalité réelle. Il y a eu cette loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle : je ne sais pas pourquoi on a ajouté « réelle » à « égalité ». La devise de la République étant « Liberté, égalité, fraternité », nous sommes égaux ou nous ne le sommes pas. Quoi qu’il en soit, vous nous renvoyez donc chaque fois à des études, à la révision ou à la remise à plat d’un certain nombre de choses.
Monsieur le ministre, je vous demande de nous engager dans cette voie. Peut-être cela pourra-t-il se faire dans le cadre de la future loi dite « 3D » – décentralisation, différenciation et déconcentration – ou bien « 4D », si l’on y adjoint la décomplexification ; il s’agit de faire en sorte que nous puissions organiser ensemble, État et collectivités territoriales, le travail de structuration du développement, et que chacun sache ce qui lui incombe.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Monsieur Mathiasin, je ne voudrais pas laisser un malentendu s’installer. Si je partage votre avis quant aux objectifs, je pense que nous avons dépassé le stade des discours et des mots et que nous sommes aujourd’hui en phase d’exécution. Les propos tenus lors des interventions liminaires m’ont semblé converger, en dépit des différences de sensibilités politiques : la question ne porte pas tant sur le fond que sur les modalités et la date de mise en œuvre. Nous avons eu un débat intéressant hier soir sur le logement, au cours duquel MM. Letchimy et Naillet nous ont fait part de spécificités locales. Je crois sincèrement que nous cherchons tous à bien faire et que la vraie question concerne désormais la mise en œuvre concrète. Je ne m’attache pas pour ma part à des notions comme celle d’égalité réelle, car il m’a semblé, lorsque j’étais élu local ou assistant parlementaire, qu’en passant des heures à choisir les bons mots, on s’éloignait des attentes de nos concitoyens. Comme vous le savez, ce qu’ils veulent, c’est de l’eau au robinet !
Je vous propose que ma feuille de route jusqu’à la fin du quinquennat, en tant que ministre des outre-mer, s’intéresse plus aux modalités concrètes d’action qu’aux éternels grands débats qui ont largement épuisé la patience de nos concitoyens, quels qu’ils soient, au cours des dernières années : comment fait-on pour construire des logements, par exemple, dès lors que les crédits ont été débloqués ? De la même façon, concernant le plan de relance, nous savons tous – vous me pardonnerez ma franchise – que le véritable enjeu est de parvenir à dépenser le montant d’1,5 milliard d’euros alloué à la relance de l’économie en outre-mer dans les délais impartis. Je propose une méthode pragmatique, qui n’est sans doute qu’une méthode d’élu local et qui vaut ce qu’elle vaut. Certains d’entre vous ont été maire, adjoint au maire, président d’intercommunalité ou de conseil général ; c’est dans la dynamique de cette action locale que je souhaite m’inscrire, sans me tourner vers le passé.
Enfin, il est vrai que je renvoie souvent aux compétences des différents acteurs. En effet – et c’est encore en tant qu’élu local que je vous parle –, je considère que la mise en œuvre, après la décolonisation, de mouvements de décentralisation très ambitieux pour les territoires d’outre-mer, fondés sur la confiance dans les élus locaux, était la meilleure chose à faire : ces mouvements encouragent la responsabilité locale, qui soutient la véritable émancipation politique, économique et intellectuelle. C’est une marque de confiance. Je préfère aider les élus locaux à exercer leurs compétences plutôt que de prendre la main depuis Paris, au travers du PLF, en niant ces compétences. Nous n’irions pas dans le sens de l’histoire en agissant ainsi.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Je partage l’opinion de M. le ministre : les débats sur les outre-mer se sont bien souvent attachés davantage à des symboles qu’à des réalités, dont ils ont même parfois retardé la progression. L’amendement que je présente au nom de mes collègues Nicole Sanquer, Philippe Dunoyer et Philippe Gomès, l’illustre parfaitement ; il porte sur un sujet dont on parle depuis de longues années, et que vous faites aujourd’hui avancer. Au nom de mes trois collègues, je tiens à vous remercier du travail que vous avez engagé, en espérant qu’il se concrétise rapidement et que le symbole devienne réalité. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 2050 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Bassire, pour soutenir l’amendement no 1963.
Mme Nathalie Bassire
Nous proposons d’augmenter les crédits de l’action 03 « Continuité territoriale » pour venir en aide aux proches d’un défunt ultramarin devant se rendre dans l’Hexagone pour aider au rapatriement de son corps. Les familles, qui n’ont pas toujours les moyens de financer ce rapatriement, sont souvent contraintes de lancer dans l’urgence des appels aux dons dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Dans ces moments de stress et d’angoisse, la prise en charge du prix du billet constituerait un soutien très utile pour elles.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Vous évoquez là un sujet douloureux. L’année dernière, la représentation nationale, en accord avec le Gouvernement, a adopté un amendement que j’avais présenté visant à augmenter de 1 million d’euros le budget alloué à la continuité funéraire. Vous l’avez souligné : le dispositif prévu par l’État est aujourd’hui totalement insatisfaisant. Heureusement, tout le monde en est conscient. En effet, les critères de revenu sont discriminants, notamment le quotient familial de 6 000 euros par part, qui est insuffisant. Je me permettrai d’être assez disert sur ce sujet qui a fait l’objet de plusieurs amendements avant de vous laisser exposer l’avis du Gouvernement, monsieur le ministre ; je sais que vous avez été attentif et sensible aux arguments de la représentation nationale.
Comme je l’indiquais, le plafond de ressources est beaucoup trop bas, rendant le système quasiment inutile. Seules quelques rares personnes en bénéficient chaque année. Nous proposons de ce fait de porter le quotient familial d’éligibilité au dispositif à 12 000 euros, ce qui, pour une famille de trois ou quatre personnes, représente un revenu annuel assez significatif. C’est une première avancée.
En outre, le dispositif n’autorise jusqu’ici que le rapatriement vers leur territoire de domicile des défunts ultramarins qui, après être s’être rendus dans l’Hexagone pour y recevoir des soins, y décèdent – le coût étant calculé en fonction du poids à transporter. C’est insatisfaisant, car les personnes décédées ont une famille, des parents, des frères et sœurs, qui souhaitent parfois les accompagner une dernière fois lorsqu’elles partent vers l’Hexagone pour être soignées. Ces déplacements n’étaient pas pris en charge jusqu’à maintenant, mais je sais que M. le ministre a été très attentif à nos arguments collectifs, ce dont je suis très heureux.
Il reste un point sur lequel nous ne sommes pas encore parvenus à un accord cette année – mais je ne désespère pas, avec le temps, de progresser sur ce sujet. Le problème ne concerne pas uniquement les ultramarins qui décèdent dans l’Hexagone et dont le corps doit être rapatrié. Il concerne aussi toutes celles et tous ceux qui, nés dans un département d’outre-mer, ont bénéficié…
M. Serge Letchimy
Bénéficié ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
…bénéficié, entre guillemets, du Bumidom – Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer –, et sont partis travailler dans l’Hexagone, où l’on manquait alors de main d’œuvre. Certains souhaitent être inhumés dans leur terre d’origine, là où ils ont leurs racines. Le chemin reste à parcourir avec le ministère des outre-mer à ce sujet, mais je suis certain que nous progresserons ensemble au cours des années à venir. J’émets donc un avis favorable à votre amendement, madame Bassire, tout comme le Gouvernement, en dépit de nuances que le ministre expliquera. Quoi qu’il en soit, je salue cette avancée significative du ministère des outre-mer.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Les avancées significatives évoquées par le rapporteur spécial concernent un amendement du Gouvernement que nous examinerons ultérieurement. La délégation aux outre-mer de l’Assemblée a fait des propositions relatives à la question délicate de la continuité funéraire – un terme abrupt qui recouvre des réalités très humaines et concrètes. Je vous propose de présenter dès maintenant l’amendement du Gouvernement, qui justifiera l’avis que j’émettrai sur la plupart des amendements suivants.
Bien que favorable à votre amendement sur le fond, madame Bassire, je vous demanderai de le retirer car l’amendement du Gouvernement abonde les crédits et modifie de surcroît les critères du dispositif – ce que la rédaction du vôtre ne permet pas. Je vous reconnais néanmoins la « maternité » de ces mesures sur le fond !
L’amendement no 2223 rectifié du Gouvernement propose d’élargir le dispositif à la fin de vie au-delà du seul décès car, bien souvent, la solidarité familiale s’organise quelques heures voire quelques jours avant. Pour le dire de façon triviale, il est donc trop tard lorsque le dispositif est mis en œuvre. Par ailleurs, cet amendement élargit aussi la notion de parents, dont les frères et sœurs étaient jusqu’alors exclus. Le Gouvernement a tenu compte en cela des travaux de la délégation aux outre-mer, tous groupes politiques confondus. Je n’étais certes pas ministre des outre-mer l’année dernière, mais je sais que le sujet avait été débattu longuement dans l’hémicycle et j’y réponds avec l’amendement no 2223 rectifié, qui permet d’avancer. Comme je l’ai indiqué à M. Lagarde, il conviendra d’évaluer ce dispositif, comme tous les autres dispositifs individuels. Quoi qu’il en soit, la continuité funéraire est un sujet délicat, méritant l’engagement de la solidarité nationale. J’émets donc une demande de retrait – bienveillante – de l’amendement no 1963 et me permettrai de donner des avis plus rapides aux amendements ultérieurs portant sur le même sujet.
(L’amendement no 1963 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 2051.
M. Jean-Christophe Lagarde
Voilà effectivement une avancée importante ; les circonstances que nous évoquons sont toujours dramatiques et nécessitent une réponse urgente. C’est la raison pour laquelle nos trois collègues du Pacifique tenaient, avec l’amendement no 2051, à améliorer le dispositif existant – qui n’a bénéficié qu’à treize personnes en 2019. Monsieur le ministre, une étude d’impact a-t-elle été réalisée pour évaluer le nombre de personnes qui auraient pu bénéficier, en 2018 ou 2019, des mesures prévues par le Gouvernement – doublement du quotient familial, abondement des crédits et élargissement des bénéficiaires ? L’effet ne serait pas le même, en effet, selon que le nombre de bénéficiaires passe de treize à 400, ou bien seulement de treize à quinze. Vous évoquez une évaluation a posteriori, mais j’imagine qu’une étude d’impact a aussi été réalisée au préalable. Quoi qu’il en soit, nous nous réjouissons de cette avancée et je retirerai l’amendement.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
M. Lagarde pose une excellente question, comme souvent ! Il est difficile d’évaluer le nombre de bénéficiaires, s’agissant d’un phénomène que l’on ne maîtrise pas. À titre de comparaison, les crédits alloués l’an dernier, qui s’élevaient à 1 million d’euros, n’ont pas été consommés. Le Gouvernement fait preuve de prudence – on peut le comprendre – dans cette avancée progressive. J’aimerais que la tendance de consommation de ces crédits, très largement sous-consommés l’an dernier, puisse nous être communiquée dès que possible.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
M. Lagarde m’offre l’opportunité de compléter la présentation de l’amendement no 2223 rectifié, que je n’aurai plus à présenter tout à l’heure ! Je voudrais ainsi préciser, avant que vous ne m’interrogiez à ce sujet, que ce sont les obsèques que j’évoquais : le transport des corps n’est pas mentionné dans l’amendement, car il fera l’objet d’un arrêté.
Par ailleurs, et pour être franc, il nous est impossible d’évaluer le nombre de bénéficiaires, car le recours au dispositif se fait à la demande. Les personnes qui en étaient jusqu’alors exclues par les critères d’éligibilité n’en faisaient pas la demande, de telle sorte qu’il n’existe pas de taux de refus auquel se référer. Nous sommes donc condamnés à attendre avant de connaître le nombre de bénéficiaires. Mais je fais confiance aux parlementaires d’outre-mer, députés et sénateurs, ainsi qu’aux élus locaux : la modification de quotient familial prévue par l’amendement correspond aux retours du terrain. Le caractère strict du plafond précédent excluait un très grand nombre de demandes, et le fait de le doubler aujourd’hui ne peut que constituer un progrès. C’est une réponse prudente, mais c’est ainsi que j’envisage les choses.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Je comprends, monsieur le ministre, la difficulté de cette évaluation. Dans ce cas – M. Serva partagera sans doute mon avis –, la délégation aux outre-mer pourrait sans doute être informée au fur à mesure des consommations de crédits. Elle saura ainsi en cours d’année si le dispositif fonctionne ou non, avant la discussion budgétaire de l’année prochaine.
(L’amendement no 2051 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Olivier Serva, rapporteur spécial, pour soutenir son amendement no 2205.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Il est retiré, monsieur le président.
(L’amendement no 2205 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Bassire, pour soutenir l’amendement no 1956.
Mme Nathalie Bassire
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour la réponse que vous avez apportée hier à ma collègue Karine Lebon sur les contrats aidés. J’aimerais aujourd’hui vous faire part d’une difficulté que nous rencontrons avec les parcours emploi compétences – PEC.
Le taux de prise en charge par l’État pour un jeune de moins de vingt-six ans est de 65 %, mais il est beaucoup plus faible pour les personnes de plus de vingt-six ans. Or la crise sanitaire a affecté un grand nombre d’entreprises et nos chômeurs à La Réunion ont peu de chances de trouver un emploi. Le seul espoir qu’il leur reste est de bénéficier de ce type de contrat. Compte tenu du montant supérieur d’aides versé pour ce public, les collectivités vont immanquablement faire le choix de recruter des jeunes de moins de vingt-six ans.
Y aurait-il, monsieur le ministre, une possibilité d’harmoniser les taux de prise en charge afin de donner autant de chances aux pères de famille qu’à des plus jeunes d’accéder à ces contrats ? Certains contrats demandent d’avoir une certaine expérience et davantage de compétences que n’en ont les plus jeunes. Je pense par exemple aux emplois auprès des personnes âgées.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Madame Bassire, je suis très sensible à ce que vous venez de dire. Pourquoi ? Parce qu’en outre-mer, il existe des spécificités qui appellent à opérer une différenciation – ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est le Premier ministre. On ne peut pas traiter le chômage en outre-mer comme on le traite dans l’Hexagone. Ce n’est pas possible : nous avons deux fois et demie à trois fois plus de chômeurs. Si nous pouvions faire les mêmes choses, cela se saurait : nous aurions des résultats identiques, ce qui n’est pas le cas. Nous devons donc faire du sur-mesure.
L’une des pistes importantes de différenciation repose sur ce que vous venez d’indiquer. Un chômeur, qu’il ait vingt-six ou vingt-sept ans, reste un chômeur avec peu de perspectives dans un marché étroit, concurrentiel, dans des zones où, souvent, la population diminue. Monsieur le ministre, je suis sûr que vous serez attentif à ces arguments, toujours dans un chemin de construction, en prenant le temps qu’il faut, pourquoi pas dans le cadre du fameux projet de loi 4D à venir ?
Je crois vraiment qu’il s’agit d’une question fondamentale pour les ultramarins. Lorsque des contrats aidés sont détruits, cela fait des chômeurs en plus. Mieux vaut que ces personnes soient en activité, se forment et se sentent utiles à la société, s’expriment socialement plutôt que d’être bénéficiaires de minima sociaux.
Avis favorable – à titre personnel, je tiens à le préciser, car beaucoup de ces amendements n’ont pas été examinés par la commission.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Comme il y a une cohérence entre mon avis personnel et l’avis du Gouvernement, la tâche sera plus facile pour moi.
Pour le coup, monsieur le rapporteur spécial, les PEC sont un exemple de différenciation – il y a des choses qui ne vont pas bien, mais il y a aussi des choses qui vont mieux. Les taux de prise en charge – en dehors des conditions nouvelles du plan de relance, dont je vais vous parler aussi – sont de 45 % pour l’Hexagone et de 55 % en outre-mer. Que cela soit ou non suffisant, c’est un autre débat, mais il faut constater que l’effort de différenciation a déjà été accompli, et pour cause, puisqu’il s’agissait de s’adapter aux besoins particuliers des collectivités territoriales – je ne reviendrai pas là-dessus, nous en avons déjà suffisamment parlé hier soir.
Par ailleurs, nous avons fait le choix dans le cadre du plan de relance d’ouvrir un grand nombre de nouveaux PEC, singulièrement pour les outre-mer et plus particulièrement pour La Réunion, où l’on constate qu’il y en a eu plus qu’à la Guadeloupe et à la Martinique, si l’on regarde leur répartition géographique. L’histoire est passée par là et explique cette diversité de dynamiques locales.
Votre amendement propose une augmentation de crédits. Dans le plan de relance, les sommes en jeu sont beaucoup plus élevées, puisque des centaines de millions d’euros vont être débloqués pour les PEC. Je l’ai dit hier soir et votre amendement me donne l’occasion de le réaffirmer devant vous ce matin : les préfets ont la main pour moduler les taux de prise en charge tout en restant dans les limites d’une enveloppe donnée – cela va sans dire, ils ne peuvent modifier le PLF à votre place.
Le préfet Billant pourra donc procéder ainsi à La Réunion. La question de la taille des collectivités se pose : faut-il appliquer le même taux pour la ville de Saint-Denis, la ville du Tampon et les communes plus petites des hauteurs ? Le préfet aura la possibilité de moduler le taux de prise en charge, quitte à ce que davantage de crédits soient consacrés aux mêmes PEC dans l’enveloppe globale, ce qui est inévitable.
À cet égard, votre amendement me paraît en partie satisfait.
Au-delà de l’urgence d’obtenir des emplois aidés – même si plus personne ne les appelle ainsi, c’est bien de cela qu’il s’agit –, ce qui importe, c’est qu’il y ait l’accompagnement correspondant. Dans le cadre de la relance économique, si les embauches se font sans accompagnement et que les jeunes se retrouvent, en sortant du dispositif, à nouveau confrontés à un défaut de formation, d’apprentissage, nous aurons perdu notre temps. Il faut aussi trouver des collectivités qui jouent pleinement le jeu et qui s’en occupent correctement jusqu’au bout. C’est le cas de manière générale, mais nous avons un devoir collectif de faire passer ce message.
M. le président
Maintenez-vous votre amendement, madame Bassire ?
Mme Nathalie Bassire
Oui, monsieur le président.
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy
Merci de me donner enfin la parole – c’est une taquinerie, vous l’aurez compris, monsieur le président.
Je voudrais tout d’abord vous prier d’excuser ma collègue George Pau-Langevin, rapporteure pour avis de la commission des lois, qui participe en ce moment même à une commission d’enquête.
Deux petits mots, monsieur le ministre, sur la question de la continuité territoriale. Très honnêtement, je ne suis pas du genre à recourir aux symboles et aux mots qui brassent du vent pour enrober ce que je pense. Ce que vous faites, alors que vous occupez vos fonctions depuis peu, pourquoi les gouvernements précédents, quels qu’ils soient, ne l’ont-ils pas fait ? La continuité territoriale est un enjeu majeur. Quand on en arrive au stade où il faut parler de continuité territoriale funéraire, c’est-à-dire non seulement du transport des corps mais de l’accompagnement de la douleur des familles, vous voyez bien l’importance que cela revêt.
Je ne vais pas opposer les outre-mer à la Corse mais pour cette île, le principe de continuité territoriale est rentré dans les principes républicains. Nous, nous devons négocier, à chaque budget, une petite avancée par-ci une petite avancée par-là. Il faut mettre les choses à plat. Vous avez posé le problème en termes de subsidiarité – je préfère le dire ainsi plutôt que de parler de compétences, car cela recouvre deux choses différentes. En réalité, le problème de la continuité est double – la Guadeloupe et la Polynésie en sont les meilleurs exemples – puisqu’il s’agit savoir si elle relève du régalien ou du local. Concrètement, la continuité territoriale entre Paris et Pointe-à-Pitre est-elle de la responsabilité de l’État ? La continuité entre les îles et Pointe-à-Pitre s’apparente-t-elle à une continuité non nationale ? Pour la Polynésie, la question se pose de la même manière.
L’amendement de notre collègue Nathalie Bassire soulève un problème extrêmement important. Personnellement, je suis partisan d’un plan Marshall pour la jeunesse, qui a été considérablement pénalisée par la réduction des contrats aidés. Il ne s’agit toutefois pas de se satisfaire de l’augmentation de leur nombre. La réduction de la part prise en charge par l’État pose problème, s’agissant des PEC. Il faudrait aller plus loin dans les modalités d’insertion des jeunes. Je suis favorable à ce que soit mis en place un RSA Initiative jeunes, qui se distingue d’un RSA d’assistance. Le marché ne produit pas suffisamment d’activités mais nos jeunes maîtrisent beaucoup de choses, d’un point de vue technique et culturel, et prennent beaucoup d’initiatives. Un accompagnement à travers un RSA ou un PEC pendant au moins un an, en cette période de crise sanitaire, permettrait d’aller beaucoup plus loin. C’est une énième suggestion que je vous fais pour essayer de sortir nos pays de leurs difficultés. (M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis, applaudit.)
M. le président
Vous avez bien fait d’attendre, monsieur Letchimy, puisque vous avez bénéficié d’un temps de parole supplémentaire. (Sourires)
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Je veux soutenir l’amendement de notre collègue Nathalie Bassire. Il y a quelques années, un préfet de La Réunion parlait, au sujet des emplois aidés, d’« emplois magouille ». Mais il n’est pas allé au-delà de ces mots alors que nous aurions pu profiter de l’occasion pour mettre à plat ce dispositif dans les outre-mer. On ne peut pas traiter de cette question sans aller en profondeur, en prenant en compte les critères d’éligibilité et en se demandant si les prises en charge correspondent aux besoins des territoires. Il faudrait, à mon sens, définir précisément les besoins, territoire par territoire, en matière de services à la personne, de services à la société, de services à l’environnement, cerner précisément les publics concernés et établir des critères d’éligibilité. La solution consiste à moduler les PEC en fonction non pas de la géographie sur un même territoire, mais des difficultés qu’éprouvent les personnes à s’insérer dans le marché du travail.
Augmenter le nombre de PEC est intéressant, mais si les collectivités et les employeurs ne parviennent pas à les utiliser, ils seront une nouvelle fois montrés du doigt : on leur reprochera de n’avoir pas su les mettre à profit, alors que nous savons tous que les collectivités sont en grande difficulté. Et quand les collectivités sont en grande difficulté, elles donnent moins de moyens aux associations qui travaillent avec elles.
M. le président
Veuillez conclure, monsieur Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Dans la plupart des cas, ce sont les collectivités qui cofinancent les emplois associatifs. Une mise à plat s’impose pour redéfinir les emplois aidés et la façon de les utiliser en fonction des besoins des populations.
M. le président
Je rappelle aux orateurs que chacun dispose de deux minutes de temps de parole.
La parole est à M. Philippe Naillet.
M. Philippe Naillet
J’abonde dans le sens de mes collègues au sujet des PEC. Bien sûr, ce dispositif n’est pas une panacée ; l’idéal serait un véritable emploi. Seulement, sur nos territoires, le taux de chômage est plus élevé qu’en France hexagonale – il est deux fois et demie supérieur, par exemple, à La Réunion. Ces PEC sont donc indispensables pour les publics fortement éloignés de l’emploi. Lorsqu’ils sont au service de collectivités, leurs bénéficiaires remplissent de vraies missions de service public. Je pense notamment à tous ceux qui interviennent dans les écoles.
Raison de plus, monsieur le ministre, pour que le soutien apporté aux entreprises à travers le plan de relance corresponde à la réalité économique. Si nos entreprises ne sont pas soutenues, le nombre de chômeurs augmentera, ce qui entraînera une demande accrue de contrats aidés. Cela a été rappelé hier ici : il y a eu plus de 4 200 demandeurs d’emploi supplémentaires en un semestre.
Après mes collègues, j’insisterai sur la situation des jeunes à La Réunion : 42 % des moins de vingt-six ans ne sont ni en emploi, ni en formation. Je vous invite, monsieur le ministre, à regarder ce qui se fait dans le domaine de la formation. Il y a beaucoup d’argent, mais de nombreux jeunes ne sont pas formés. Je regrette une fois de plus que l’emploi ne soit pas mis en perspective avec les besoins et les activités de demain. Je pense notamment à la transition écologique : on ne forme pas les jeunes Réunionnais à ces métiers. Et lorsqu’il y aura une montée en charge des besoins liés à cette transition écologique, nous ne trouverons pas les emplois nécessaires à La Réunion et l’on nous dira une fois de plus qu’il faut les chercher ailleurs. Ce n’est pas bon, il faut prêter davantage attention à la formation.
Certes, monsieur le ministre, la prise en charge est différenciée entre l’outre-mer et l’Hexagone. Regardons toutefois la situation avec humilité : dans nos territoires, le taux de demandeurs d’emploi est près de deux fois et demie supérieur à celui de la France hexagonale. (M. Jean-Hugues Ratenon applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Le sujet est complexe, mais nous suivrons l’avis du Gouvernement et voterons contre cet amendement. Rappelons que le présent budget marque un effort significatif en faveur de l’insertion professionnelle et de l’aide à la qualification.
(L’amendement no 1956 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour soutenir son amendement no 2208.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
N’ayant pas été suffisamment convaincant hier, je tenterai à nouveau, ce matin, de défendre l’objectif visé par cet amendement. Les entreprises ultramarines ont besoin d’accéder à un marché élargi. Or, depuis des décennies, nous avons négligé l’intérêt que pouvait représenter pour elles le marché hexagonal. Beaucoup a été fait pour les aider à exporter dans leur zone géographique et à commercer à l’échelle régionale, notamment grâce au programme européen de coopération interrégionale INTERREG. En revanche, le marché intérieur des entreprises ultramarines – c’est-à-dire le marché hexagonal – a été négligé. Je souhaite que nous nous saisissions de cet enjeu. Il se trouve qu’un fonds exceptionnel d’investissement a été créé pour l’outre-mer. Il constitue, en quelque sorte, une immobilisation corporelle. Dans le même esprit, mon amendement propose de créer un fonds de dotation qui permette aux entreprises ultramarines d’accéder aux marchés hexagonal et européen. Jusqu’à présent, rien n’a vraiment été fait en ce sens. Je précise que cet amendement n’a pas été examiné par la commission.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je demande le retrait de l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable, motivé non par le fond de l’amendement, mais par les moyens qu’il préconise. Nous devons favoriser l’accès des entreprises ultramarines au marché hexagonal, mais un fonds de dotation n’y suffirait pas. Le programme INTERREG a plutôt bien fonctionné, et d’autres dispositifs relevant de Business France et de Bpifrance peuvent être mobilisés. En outre, plus de 240 millions d’euros sont inscrits dans le plan de relance pour aider les entreprises à avancer dans ce domaine. Enfin, la baisse des impôts de production prévue par le plan de relance offrira des marges de manœuvre aux entreprises, afin qu’elles renforcent leur compétitivité et se transforment pour s’adapter au mieux au marché, y compris hexagonal. Nous devons identifier les solutions les plus pertinentes pour répondre à cet enjeu, et je suis disposé à y travailler avec les équipes de Bruno Le Maire et les parlementaires qui le souhaitent. Il importera également de bien comprendre les besoins spécifiques des différentes entreprises, selon qu’elles relèvent des services, de l’industrie ou de l’agriculture. Sans attendre, je propose d’évoquer cette question, au moins pour les filières agricoles, dès le comité de transformation agricole qui se tiendra cet après-midi avec Julien Denormandie.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
M. le ministre m’ayant convaincu, je retire l’amendement.
(L’amendement no 2208 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 2157.
Mme Maina Sage
Il propose de créer un dispositif de soutien exceptionnel lié à la crise du covid-19 pour aider le territoire de Polynésie, aussi autonome soit-il. Rassurez-vous, monsieur le ministre : d’un point de vue budgétaire, la Polynésie couvre 75 % de ses compétences. De son côté, l’État exerce les siennes – justice, douanes, sécurité, gendarmerie, police –, avec un budget quasiment similaire à celui de la collectivité.
La Polynésie lève l’impôt localement et, je le répète, assure 75 % de son budget. Le reste est essentiellement financé par des prêts et, bien sûr, par les dotations de l’État, qui sont importantes et que nous votons chaque année – je vous remercie d’ailleurs de les avoir sanctuarisées en créant un prélèvement sur recettes l’an dernier. Voilà pour la situation courante. Or nous traversons une situation exceptionnelle. Comprenez que les Polynésiens subissent une véritable déflagration ; l’onde de choc mondiale ne les a pas épargnés. Ayant jusqu’alors une situation financière extrêmement favorable, avec un endettement assez faible, la Polynésie a pu créer, sur ses fonds propres, des outils de soutien et de sauvetage des entreprises et des emplois, dont certains s’apparentent à du chômage partiel ; je pourrai vous transmettre un tableau récapitulatif de ces dispositifs. Toutefois, nous arrivons à la limite de ce qu’il est possible de faire sur fonds propres.
C’est donc un amendement d’appel que je vous soumets, monsieur le ministre. La Polynésie vous a déjà sollicité, et vous avez répondu à certaines de ses demandes…
M. le président
Il faut conclure, madame la députée.
Mme Maina Sage
…mais en l’occurrence, nous vous adressons une demande particulière : il faut soutenir l’emploi durant cette période de transition, afin que nous puissions ensuite relancer la machine. Sinon, il n’y aura plus rien à relancer.
M. le président
Je vous rappelle à tous que le temps de parole est limité à deux minutes, et que j’accorderai deux prises de parole par amendement. Pour que chacun puisse défendre ses positions, le débat doit avancer, sachant qu’il n’ira pas au-delà de la matinée.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
J’ai toujours trouvé une forme d’injustice dans le fait de considérer, schématiquement, que les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution n’ont qu’à se débrouiller. Dans un intéressant rapport, le Sénat évoque d’ailleurs « l’enfer de l’article 74 » et « le paradis de l’article 73 ». Avec la délégation aux outre-mer, en particulier avec les députés David Lorion et Philippe Dunoyer, nous travaillerons sur cette différenciation que le Premier ministre nous a invités à étudier.
Je n’en doute pas : vous êtes polynésiens, vous êtes français, et vous subissez brutalement la crise du covid-19 à des milliers de kilomètres, dans une situation de continuité compliquée. Nous devons prendre en considération la déflagration – pour reprendre votre terme – que vous subissez. Quand je pense à Mme Sage, je pense à sagesse.
M. le président
Et quand vous pensez à M. Lecornu ? (Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, ministre
Qu’en est-il quand vous pensez à M. Renson ? (Nouveaux sourires.)
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je ne peux que partager votre avis, madame Sage. Nous avons d’ailleurs décidé d’accompagner les entreprises de Polynésie, bien que le Gouvernement de la République ne soit plus compétent en la matière. Un demi milliard d’euros a été accordé à ce titre à la seule Polynésie française, à travers le fonds de soutien aux entreprises et le prêt garanti par l’État – PGE. Cela ne coulait pas de source – vous le savez –, mais nous avons réussi à instaurer des dispositifs de cette nature pour la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie – et j’en suis fier. La solidarité nationale doit s’exercer au sein de la République, qu’on relève de l’article 73 ou de l’article 74. Votre amendement est donc satisfait à certains égards.
Au-delà, alors que la crise du covid-19 continue de sévir en Polynésie française, nous devons réfléchir à la meilleure façon d’adapter les mécanismes de soutien et de bâtir le plan de relance à l’échelle du territoire. À dire vrai, l’heure est plutôt au soutien qu’à la relance, tant le virus continue de circuler. Dans ce contexte, nous devons respecter les compétences des différentes collectivités ; c’est le sens du prêt de l’Agence française de développement – AFD – qui a été consenti une première fois. Comme je vous l’ai déjà indiqué, nous sommes disposés à étudier ce qu’il doit en être demain, en fonction de l’évolution de la crise.
Quand au « paradis » ou à « l’enfer » des uns et des autres, puisque vous travaillez sur la distinction entre les articles 73 et 74, je vous invite à bien examiner les questions de fiscalité. À cet égard, je vous renvoie aux discussions qui ont eu lieu dans les assemblées délibérantes quand, en 1958, un de mes prédécesseurs a ouvert le choix entre les statuts de département et de territoire d’outre-mer : il en ressort que la véritable question était celle de la maîtrise de la fiscalité. Je vous invite donc à approfondir votre réflexion dans tous ses aspects, car, au-delà de la relation entre l’État et les territoires, il y va de la capacité à maîtriser les instruments fiscaux – ce qui n’est pas une mince affaire.
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
Vous avez parfaitement raison, monsieur le ministre. C’est pourquoi j’expliquais que la Polynésie était autonome fiscalement. Je ne doute pas que l’autonomie responsabilise, et nous le démontrons : nous assumons à 50 % la plupart des contrats que nous passons avec l’État. Vous avez mentionné les PGE : ils constituent une avancée, et nous reconnaissons que l’État a été au rendez-vous pour apporter ce type de soutien. Toutefois, la mécanique financière n’est pas la même entre les budgets d’investissement, les budgets de fonctionnement et les besoins de trésorerie. J’avais d’ailleurs insisté pour que soit créé un comité de suivi spécifique des PGE de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie.
Mon message est le suivant : quand on peut pour 12 millions de salariés au chômage partiel, on peut pour 60 000 personnes supplémentaires. La situation est véritablement exceptionnelle. Nous avons vécu de graves crises par le passé, et j’ai défendu, dans l’hémicycle, le retour de l’État au financement du régime de solidarité territoriale – la convention sera d’ailleurs renouvelée prochainement. Nous nous assumons au quotidien, mais, une fois encore, nous traversons une situation exceptionnelle. Ayons conscience des ordres de grandeur : les collectivités d’outre-mer – celles du Pacifique, mais aussi les petits territoires de Saint-Martin, Saint-Barthélémy et Saint-Pierre-et-Miquelon – ne représentent jamais que 600 000 habitants. Or la France déploie actuellement des dispositifs d’une ampleur exceptionnelle, car elle sait qu’ils sont nécessaires pour sauver l’économie. Ayons la même exigence pour tous les Français, au-delà des différences juridiques et statutaires.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Je salue le plan de relance spécifique bâti par le gouvernement polynésien dans le cadre de l’autonomie. Au reste, la visite du président Fricht dans l’Hexagone a permis de faire avancer de nombreux dossiers. Nous suivrons l’avis du Gouvernement en la matière.
(L’amendement no 2157 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 217 et 2174.
La parole est à M. Philippe Naillet, pour soutenir l’amendement no 217.
M. Philippe Naillet
Il s’agit d’un amendement d’appel relatif aux crédits du comité interministériel des outre-mer – CIOM. Rappelons qu’en octobre 2019, lors de sa visite à La Réunion, le Président de la République s’était engagé à maintenir les crédits alloués au CIOM. Au plus fort de la crise sanitaire, pendant le confinement, alors que le transport maritime et le fret étaient réduits, les filières ultramarines de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche ont su répondre à la demande locale, évitant une pénurie alimentaire à nos territoires. Si nous voulons vraiment que les territoires ultramarins tendent vers l’autonomie alimentaire, si nous voulons que leur alimentation soit sécurisée, et si nous voulons renforcer les filières – et par conséquent créer de l’emploi –, il faut y mettre les moyens.
La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » n’accorde que 43 millions d’euros au fonds CIOM en 2021, alors que 48 millions seraient nécessaires pour renforcer la sécurité alimentaire et poursuivre le développement de la filière agricole. Aussi cet amendement propose-t-il de prélever 5 millions d’euros du programme 138 « Emploi outre-mer » dans son action 01 « Soutien aux entreprises » et de les orienter vers un nouveau programme intitulé « Développement endogène des filières agricoles de diversification ».
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement no 2174.
M. Serge Letchimy
Je tiens à excuser l’absence de ma collègue Hélène Vainqueur-Christophe. L’amendement no 2174, dont elle est la première signataire, obéit aux mêmes arguments que le précédent ; je ne les reprendrai donc pas.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La commission ne les a pas examinés. Étant cosignataire de l’amendement no 217, mon avis est favorable à titre personnel. Je note par ailleurs que le plan de relance affecte 80 millions d’euros à la diversification de l’agroécologie en outre-mer – signal intéressant –, et que le financement des mesures du CIOM augmente de 7,5 %. Quoi qu’il en soit, nous devons rester vigilants quant aux budgets de la diversification, qui restent menacés sinon au niveau européen, tout au moins au niveau national.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
J’ai déjà eu l’occasion de parler un peu d’agriculture la nuit dernière ; j’essaierai donc de ne pas être redondant, d’autant que nous en rediscuterons longuement cet après-midi dans le cadre de la réunion en visioconférence du comité de transformation agricole.
Les crédits du fonds CIOM ont déjà connu une augmentation significative en 2020, puisqu’ils sont passés de 40 à 45 millions d’euros, ce qui est loin d’être négligeable ! Je ne reviens pas sur le POSEI, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, dont j’ai déjà parlé cette nuit et qui va dans le même sens. Cet après-midi, nous évoquerons d’ailleurs le problème posé par la multiplication des outils de financement, qui rend parfois les choses assez difficiles lorsqu’il s’agit de monter un projet. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
(Les amendements identiques nos 217 et 2174 sont retirés.)
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Bassire, pour soutenir l’amendement no 2029.
Mme Nathalie Bassire
Le Gouvernement a déjà répondu en partie sur les sujets relatifs à la continuité territoriale, mais je veux ici soulever cette question pour un public plus particulier : celui des parents qui accompagnent un enfant malade. Aujourd’hui, un seul des deux parents a droit à la prise en charge totale de son billet d’avion ; or, quand une maman ou un papa accompagne son enfant qui doit se faire soigner dans l’Hexagone, parce que les soins nécessaires ne sont pas dispensés dans son territoire ultramarin, il se trouve souvent en difficulté et a également besoin de soutien. Les frais du deuxième accompagnant n’étant pas pris en charge, il faut souvent lancer une mobilisation sur les réseaux sociaux, à la radio et dans tous les médias possibles pour financer son transport et trouver un hébergement à proximité de l’hôpital.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Vous évoquez une problématique importante liée à la présence de déserts médicaux dans les outre-mer. Si certains ultramarins viennent se faire soigner dans l’Hexagone, ce n’est pas parce qu’ils en ont envie mais parce qu’ils n’ont pas les moyens de le faire chez eux, en outre-mer. Lorsqu’ils ne sont pas accompagnés, ils rencontrent forcément des difficultés. Des réponses parcellaires ont été apportées : parfois, la prise en charge d’un accompagnant est consentie pour un temps donné, dans un lieu d’hébergement, mais ensuite, tout s’arrête et l’accompagnant est livré à lui-même. Il doit se débrouiller et séjourner chez une tante, une sœur, un frère ou tout autre membre de sa famille. Quant au malade, il se trouve démuni.
Il s’agit là d’un enjeu de continuité territoriale sanitaire. Nous ne parlons pas encore de la fin de vie ou des obsèques : nous parlons d’une situation causée par un désert médical. Une personne malade a besoin de se faire soigner dans l’Hexagone et l’accompagnant est souvent, au moins en partie, livré à lui-même. Avis favorable, à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Cet amendement est important. Je rappelle qu’en cas d’évacuation sanitaire, les frais d’un accompagnant sont déjà pris en charge. Pour les autres cas, cette problématique n’est pas remontée aussi clairement du fameux groupe de travail qui a permis de faire bouger certaines lignes et que nous avons évoqué tout à l’heure, lorsque nous examinions votre amendement no 1963.
Je vous propose de retirer votre amendement, car un dialogue doit s’instaurer avec les collectivités territoriales. Les centres communaux d’action sociale – CCAS – et les conseils départementaux, qui exercent aussi des compétences sociales, doivent également être mobilisés, sans quoi nous risquons d’être redondants. En effet, l’accompagnement social des familles est une compétence qui relève plutôt des départements et, parfois, des CCAS. Je ne sais pas ce que la commune du Tampon – celle que vous connaissez le mieux, madame Bassire – met en œuvre en la matière, mais je ne voudrais pas que l’État se substitue aux collectivités.
Autant la prise en charge d’un accompagnant me semble indispensable en cas d’évacuation sanitaire – c’est une exigence minimale, et c’est ce que nous prévoyons –, autant il me paraît nécessaire, dans tous les autres cas, de bien étudier les choses et d’agir de façon coordonnée. Sinon, nous risquons de voir les dispositifs s’empiler – dans votre territoire, vous en savez quelque chose – sans créer d’effet de levier efficace. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; pour ma part, je prends l’engagement de suivre cette affaire de près.
M. le président
Retirez-vous votre amendement, madame Bassire ?
Mme Nathalie Bassire
Non, je le maintiens. J’entends vos propos, monsieur le ministre : il faudrait vraiment travailler sur ce sujet. Mais si la continuité territoriale sanitaire était prise en charge par l’État, les CCAS et les conseils départementaux pourraient se concentrer sur l’hébergement et les frais occasionnés par la présence d’un deuxième accompagnant. Aujourd’hui, la situation de certaines familles est très compliquée car seuls les frais d’un parent accompagnant sont totalement pris en charge par la sécurité sociale.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Le groupe La République en marche suivra l’avis du Gouvernement.
(L’amendement no 2029 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 448.
M. Jean-Hugues Ratenon
Cet amendement d’appel porte sur la construction et l’entretien des infrastructures sanitaires.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Défavorable, d’autant que nous avançons sur tous ces sujets.
Dans ce projet de loi de finances, nous consacrons 45 millions d’euros à l’hôpital et aux questions de santé à Wallis-et-Futuna – cette mesure était attendue depuis des années.
De même, Mme Sage et M. Brotherson pourraient vous parler de la convention santé entre l’État et la Polynésie française, que nous avons largement renouvelée.
Enfin, comment ne pas évoquer le nouveau CHU de Pointe-à-Pitre, qui vient répondre à une réelle urgence ? M. Letchimy a parlé hier d’un certain nombre d’infrastructures hospitalières en Martinique : des travaux de réfection ont été réalisés dans certains hôpitaux, même si d’autres mesures se font attendre – nous devrons prendre des décisions prochainement. Si je tiens à citer le CHU de Pointe-à-Pitre – et je demande aux députés hexagonaux de se boucher les oreilles –, c’est parce qu’il s’agit de l’un des plus gros chantiers hospitaliers de France. Le personnel soignant attendait ces travaux depuis longtemps. Certes, nous accusons beaucoup de retard, à cause notamment de la crise du covid-19, mais quand les choses avancent, il faut aussi le reconnaître !
Je demande donc le retrait de cet amendement d’appel, en prenant l’engagement de continuer à avancer – même si tout cela ne se fait pas en un jour.
M. le président
Retirez-vous votre amendement, monsieur Ratenon ?
M. Jean-Hugues Ratenon
Non, monsieur le président, je le maintiens pour permettre le débat.
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy
Voyez, monsieur le ministre : la question de la continuité territoriale médicale s’ajoute à celle de la continuité territoriale classique, sociale ou funéraire.
J’entends que ce sujet vous préoccupe, mais soyez conscient que le rattrapage prendra beaucoup de temps. Pour construire l’hôpital de Pointe-à-Pitre, il a fallu mener beaucoup d’études, et nous avons dû patienter trois, quatre ou cinq ans. Puisque l’on parle de la Martinique, voyez dans quel état se trouve l’hôpital Pierre Zobda-Quitman : les travaux dureront cinq à dix ans. De même, j’ai évoqué hier l’hôpital Louis Domergue de Trinité : trois à cinq ans seront nécessaires pour reconstruire cet hôpital qui est aujourd’hui désuet, et même pratiquement insalubre.
En attendant, nous avons un vrai problème. Nous perdons des spécialistes car les médecins ne veulent pas travailler dans ces hôpitaux. Ainsi se créent, au plus haut niveau de spécialité, des déserts médicaux qui nécessitent des transferts de patients à l’échelle nationale, notamment dans des hôpitaux spécialisés dans le traitement des cancers. Tout cela entraîne des frais, mais aussi des douleurs. Je souhaite vraiment que nous en discutions, dans le cadre de la réflexion que vous allez mener.
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis
Il est un peu gênant qu’à chaque fois qu’un membre du Gouvernement parle de la santé en Guadeloupe ou de l’hôpital de Pointe-à-Pitre, il précise que ce dernier est le plus coûteux de France.
M. Sébastien Lecornu, ministre
C’est le plus beau chantier ! Il faut en être fier !
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis
J’en suis fier, mais vous le dites à chaque fois ! Je rappelle que l’hôpital actuel avait été construit il y a très longtemps, qui plus est sur une faille sismique : il fallait donc le reconstruire.
Cela a donné lieu à un combat épique, qui a duré vingt ans. Cette affaire n’a donc pas été réglée par le gouvernement actuel : les fonds avaient été sanctuarisés par d’autres gouvernements. Nous avons dû beaucoup nous battre.
En outre, vous avez oublié de souligner l’effort de la région et du département en matière d’infrastructures routières, nécessaires pour accéder au nouvel hôpital. Nous saluons l’effort de tous les acteurs.
Aujourd’hui, à chaque fois que nous obtenons, dans les outre-mer, un équipement qui semble adapté ou qui répond à une nécessité, vous vous empressez de préciser que c’est un beau chantier, ou que c’est l’hôpital le plus cher… Arrêtez de nous le reprocher ! Oui, c’est un chantier qu’il fallait engager, et nous l’avons fait, mais nous sommes encore en train de nous battre pour conserver le TEP scan – tomographie par émission de positons – qui nous avait été promis. Nous menons de tels combats tous les jours. À chaque fois que quelque chose est réalisé chez nous, ne nous rappelez pas que c’est le plus cher, le plus onéreux, le plus coûteux… Je ne suis pas sûr que cela soit réellement le cas.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Heureusement que vous soutenez le Gouvernement, monsieur Mathiasin, sinon je m’inquiéterais… Je vais vous dire les choses très clairement, car je n’ai pas la langue dans ma poche.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis
Moi non plus !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Le CHU de Pointe-à-Pitre est le plus beau chantier hospitalier de France, et vous devez en être fier. Dire que c’est le plus beau chantier ou le chantier le plus important financièrement ne signifie pas que c’est le plus cher ou le plus coûteux.
Puisque vous voulez parler d’argent et que, comme tout bon parlementaire, vous connaissez les règles d’engagement financier, vous savez que la notion de crédits sanctuarisés n’existe pas : soit les crédits sont inscrits, soit ils ne le sont pas. Or il se trouve que c’est ce gouvernement et cette majorité, à laquelle vous appartenez, qui financent cet hôpital – je le dis avec humilité, car d’autres gouvernements prendront de très bonnes mesures à l’avenir, de même que d’autres en ont pris de très bonnes avant.
Par ailleurs, le CHU de Pointe-à-Pitre est le seul centre hospitalier de France payé à 100 % par l’État, et c’est très bien – cela s’appelle la solidarité nationale. C’est une décision que nous avons prise pour débloquer la situation.
Je comprends le désespoir de nos concitoyens d’outre-mer qui se sentent parfois abandonnés – je le mesure moi-même quand je me déplace, et croyez bien que je n’y suis pas insensible –, mais si l’on n’est pas capable de saluer les bonnes nouvelles, les choses qui évoluent dans le bon sens grâce à la solidarité nationale, alors il ne faut pas s’étonner que les gens désespèrent de la puissance publique, quelle qu’elle soit.
Vous dites qu’il faut remercier le conseil départemental parce qu’il construit des routes. J’ai moi-même présidé un conseil départemental…
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis
Il y a aussi la région !
M. Sébastien Lecornu, ministre
Tout à fait. Mais la construction des routes fait partie de leurs compétences, pas de celles de l’État.
Je veux bien tout entendre, mais je suis fier d’appartenir au gouvernement qui a décidé la construction de cet hôpital et qui la prend en charge à 100 %. C’est aujourd’hui le plus grand chantier de France, et il participe au soutien de l’économie guadeloupéenne, notamment du secteur des travaux publics. Pardonnez-moi, monsieur Mathiasin, mais je ne vais pas m’excuser d’une bonne nouvelle ! (Mme Cendra Motin et Mme Maina Sage applaudissent.)
(L’amendement no 448 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 2056.
M. Jean-Christophe Lagarde
Chaque année, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », nous évoquons le fonds vert pour les collectivités du Pacifique.
Je rappelle que le bassin Pacifique est probablement le plus touché – en tout cas, l’un des plus touchés – par les changements climatiques ; pourtant, les territoires du Pacifique ne sont pas éligibles au fonds vert créé en 2015 par la COP21 à destination, notamment, des petits États du Pacifique. La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie sont tout autant affectées par les changements climatiques. Cette situation avait conduit le Gouvernement à créer, en 2017, un dispositif dit « équivalent fonds vert » pour ces territoires, sous la forme de prêts bonifiés et de subventions de maîtrise d’ouvrage. Grâce à une initiative parlementaire, cette ligne budgétaire avait pu être reconduite en 2018. Or cette solution transitoire n’est plus satisfaisante sur le long terme : les collectivités du Pacifique n’ont pas les moyens de faire face seules au défi majeur que représente l’adaptation aux changements climatiques.
Nous demandons donc, avec les députés Philippe Dunoyer et Philippe Gomès, la création pour ces territoires d’un réel fonds vert doté de crédits budgétaires d’appui, et non uniquement d’une bonification de prêt. C’est d’ailleurs ce que préconise depuis 2018 la délégation sénatoriale aux outre-mer, comme l’indique M. Guillaume Arnell : « Le fonds vert doit, enfin, devenir une réalité. La première version de l’"équivalent fonds vert", initialement prévu pour les collectivités du Pacifique et surtout axé sur des prêts bonifiés, ne suffit pas. Alors que nos collectivités sont financièrement en difficulté, l’emprunt ne peut être le principal levier. Nous appelons à la création d’un véritable fonds vert dédié à l’adaptation de nos territoires face aux risques, doté d’un réel budget d’appui aux collectivités. »
Tout à l’heure, M. Brotherson rappelait l’impact important des crises économique et sanitaire sur la Polynésie française – c’est aussi vrai pour la Nouvelle-Calédonie. Il n’est pas possible de ne leur octroyer que des prêts bonifiés. Il faut donc pérenniser un véritable fonds vert pour les accompagner.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La commission n’a pas examiné cet amendement ; je donnerai donc mon avis à titre personnel ou plutôt, monsieur le ministre, au titre des outre-mer que j’incarne ici, comme vous le savez.
Un délégué interministériel aux risques majeurs a été nommé, même s’il est vrai que l’épidémie de covid-19 a quelque peu bouleversé ses activités. Je suggère néanmoins que nous attendions les conclusions de ses travaux et ses propositions avant de créer ce fonds qui, en tout état de cause, est nécessaire – je crains à cet égard que 1 million d’euros ne suffise pas. Demande de retrait.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Il s’agit en effet d’un sujet central, monsieur Lagarde, dont nous parlons depuis de nombreuses années. Nous avons demandé l’année dernière à l’AFD de consacrer une ligne de 1,3 million d’euros à des subventions de projets – et non à des prêts bonifiés – pour remplir peu ou prou la même fonction que le fonds vert dans les territoires du Pacifique. L’essentiel des demandes concernent la lutte contre l’érosion du trait de côte : en effet, l’élévation du niveau de la mer, en particulier dans l’océan Pacifique, fait peser une grave menace sur certains atolls polynésiens voire dans la baie de Nouméa et dans l’archipel de la province des Îles en Nouvelle-Calédonie, où l’on constate le recul du trait de côte sur les bancs de sable et les plages.
Ce montant de 1,3 million d’euros a été entièrement consommé en 2020 ; c’est une bonne nouvelle car il permet de mener un certain nombre de projets. Je demande le retrait de l’amendement car, visiblement, le dispositif fonctionne. La question qui se pose pour l’année prochaine, bien entendu, est celle du dimensionnement de l’enveloppe permettant d’aller plus loin. En attendant, nous sommes parvenus à mettre en place un dispositif ad hoc pour les collectivités du Pacifique ; reste à se projeter dans la durée.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
En tant que président de la délégation aux outre-mer, monsieur Serva, vous savez bien que le montant de 1 million d’euros n’est pas celui que nous souhaitons. C’est une fois de plus de la technique budgétaire, qu’il ne faut utiliser comme argument ni contre cet amendement ni contre d’autres.
Je prends note de votre volonté d’aller de l’avant, monsieur le ministre ; c’est une nécessité. Nous ne pouvons pas laisser ces territoires seuls dans cette situation – paradoxale, au reste, puisque nous aidons des États étrangers mais n’aidons pas nos propres compatriotes. Comprenez que certains, en Nouvelle-Calédonie par exemple, en feront leurs choux gras pour affirmer que la France les « maltraite », ce qui n’est guère souhaitable dans les circonstances actuelles.
Je saisis l’occasion pour vous rappeler une autre question posée hier, à laquelle vous n’avez pas pu répondre dans le temps qui vous était imparti : un emprunt de 28 milliards de francs Pacifique est autorisé dans le cadre de la crise, mais vous avez laissé entendre lors de votre visite sur place qu’il pourrait se transformer pour partie en subventions, ne serait-ce que pour couvrir les frais d’indemnisation des chômeurs directement liés à la crise. Est-ce le cas ?
M. le président
Retirez-vous l’amendement, monsieur Lagarde ?
M. Jean-Christophe Lagarde
Je laisse d’abord le ministre répondre.
M. le président
Soit. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je me suis engagé à examiner les dépenses sanitaires de la Nouvelle-Calédonie qui, comme vous le savez, est l’un des rares territoires de la République sans covid-19. Or les quatorzaines induisent des coûts pour le gouvernement de Nouvelle-Calédonie – c’est une spécificité propre à ce territoire et à quelques autres : je salue le député Stéphane Claireaux de s’être mobilisé sur cette question à Saint-Pierre-et-Miquelon. Encore une fois, je me suis donc engagé à examiner non pas les dépenses économiques du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, mais ses dépenses sanitaires. La comptabilisation est en cours par la direction régionale des finances publiques et les services du Gouvernement.
S’agissant de la différence entre les États du Pacifique et les territoires français, je partage votre point de vue : c’est précisément pourquoi nous cherchons une solution au moyen des lignes budgétaires que j’ai évoquées. Il ne faut pas pour autant amoindrir nos efforts en faveur des autres archipels : le Vanuatu, par exemple, a une histoire particulière avec la France et il faut continuer d’y faire des choses, y compris de manière transversale. De surcroît, c’est une action qui participe de notre ambition concernant l’axe indo-pacifique. Quoi qu’il en soit, il va de soi qu’il faut progresser sur ces questions dans les collectivités françaises du Pacifique – je n’oublie pas Wallis et Futuna.
(L’amendement no 2056 est retiré.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2202 et 2206.
La parole est à M. Moetai Brotherson, pour soutenir l’amendement no 2202.
M. Moetai Brotherson
La délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’outre-mer et la visibilité des outre-mer remplit une double mission essentielle : d’une part, promouvoir et valoriser les outre-mer et, d’autre part, prévenir les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent et faciliter leurs relations avec leurs collectivités d’origine. Elle s’en acquitte dans des conditions difficiles, avec des moyens trop limités : elle doit puiser dans son budget de fonctionnement – d’un montant de 110 000 euros en 2020 – pour apporter un soutien à des porteurs de projets qui contribuent à prévenir les inégalités ou à promouvoir les talents des outre-mer. Elle ne dispose pas d’un budget propre et autonome, contrairement à d’autres instances dont les missions sont analogues.
La question de l’égalité des chances est pourtant centrale. La délégation pourrait jouer un rôle en matière d’accès au logement et d’emploi, et non pas seulement de contrôle des discriminations à l’emploi ; elle pourrait aussi accompagner les jeunes nés en outre-mer dans des démarches compliquées. Plus généralement, elle pourrait devenir un véritable point d’ancrage pour les ultramarins vivant dans le territoire hexagonal, en particulier les plus jeunes, dont on sait qu’ils ont besoin d’un véritable soutien.
Pour ce faire, il convient de la doter d’un budget d’intervention lui permettant de nouer des partenariats mais aussi de jouer un rôle de levier – on pourrait même à terme envisager la mise en place d’un système de bourses ou de subventions. Le présent amendement vise à prévoir un budget de 1 million d’euros et en précise les modalités.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour soutenir l’amendement no 2206.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La commission n’a pas examiné l’amendement précédent, déposé à l’initiative de Mme Kéclard-Mondésir. J’avais présenté le même mais il a été rejeté ; je le présente à nouveau en séance.
La délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer et la visibilité des outre-mer était rattachée au Premier ministre ; elle l’est désormais au ministère des outre-mer. C’est une bonne chose puisqu’elle est au plus près de l’action. Il ne faudrait pas, cependant, que cette délégation, tel un capitaine sans équipage, soit dépourvue de moyens d’action propres.
Elle dépend du ministère des outre-mer ; dont acte. D’autres délégations, la DILCRAH par exemple – la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT – disposent de moyens sans commune mesure. La délégation pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer gagnerait, en termes d’efficacité et dans l’intérêt général des ultramarins – et non dans l’intérêt de tel ou tel organisme ou institution – à être dotée de moyens beaucoup plus importants.
À titre personnel et pour les outre-mer, je prône donc l’adoption de ces deux amendements identiques.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Raphaël Gérard.
M. Raphaël Gérard
Nous parlons depuis des années du nécessaire développement du « réflexe outre-mer », par exemple dans l’audiovisuel public, dans la société et dans les administrations centrales. Le délégué interministériel dont il est question ici a aussi vocation à animer des politiques transversales et, pour ce faire, il a besoin de moyens. Je soutiendrai donc ces amendements car, comme le disait très justement le rapporteur spécial, le délégué interministériel se trouverait autrement dans la situation d’un capitaine sans équipage et sans moyens d’action. Il n’y a pas mieux placé que ce délégué interministériel pour animer les politiques en question dans tous les ministères. On constate en effet chaque jour que les marges de progrès, en la matière, sont énormes.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Le groupe de La République en marche dans sa quasi intégralité, en revanche, soutiendra le Gouvernement. En toute franchise, ces amendements bouleversent complètement la nature de la délégation interministérielle. On peut certes la doter d’un budget pour tenter de faire évoluer les choses, mais mieux vaut d’abord examiner quelles sont les fonctions qu’exerce une instance avant d’en adapter le budget. Autrement, nous irions dans le mauvais sens.
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy
Comme le groupe Socialistes et apparentés, je soutiens ces amendements – je parle de leur principe, non des masses financières. À quoi sert cette délégation interministérielle ? Est-elle inutile ? Se contente-t-elle de coordonner quelque lobbying ? Ou peut-on au contraire la doter de moyens concrets ? Il n’est pas nécessaire que le ministre apporte une réponse immédiate, mais au moins qu’il envisage comment la doter d’une autonomie de fonctionnement maximale sans pour autant la délier de la politique générale de l’État.
Prenons l’exemple précis de l’accueil des étudiants. Le CROUS – Centre régional des œuvres universitaires et scolaires – fonctionne selon ses propres modalités. La délégation pourrait, en lien avec le Casodom – Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’outre-mer en métropole –, tenir un rôle d’association structurelle – un rôle très important car 30 % environ des étudiants ultramarins rencontrent des difficultés d’accès au logement. En ne considérant leur accessibilité que par l’intermédiaire du CROUS, on ne parvient pas à les intégrer tous. Autrement dit, il faudrait mener des politiques immobilières et de contractualisation avec le secteur privé pour accéder à un patrimoine de logements dont le portage pourrait bénéficier du soutien administratif et financier de la délégation.
Si, en revanche, la délégation n’a pas les moyens d’exécuter un certain nombre de projets, et si elle ne peut pas contractualiser avec son propre ministère de tutelle, elle sera inopérante et totalement inefficace. Je plaide donc en faveur d’une solution – même s’il ne s’agit pas d’une solution budgétaire immédiate – pour assurer la prise en charge des 600 000 à 700 000 personnes qui ont besoin que l’égalité s’applique concrètement aux outre-mer.
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
Quelles sont les raisons, monsieur le ministre, qui empêchent de doter cette délégation d’un budget ? Je comprendrais que le montant proposé soit trop important du point de vue budgétaire, mais sur le fond, cette délégation mérite selon moi de disposer de crédits spécifiques, d’autant plus que son format a été modifié cette année. Trois experts lui sont désormais adossés dans trois domaines : la visibilité, la place des ultramarins dans les chaires universitaires et le sport. À cet égard, les rapports sont-ils prêts et allons-nous parvenir à des solutions pérennes ?
Quoi qu’il en soit, il faut doter cette délégation d’un budget d’intervention, comme c’est le cas de la DILCRAH par exemple – dont les fonds ont notamment bénéficié aux associations polynésiennes de défense des victimes de discriminations.
Peut-être l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » n’est-il pas le lieu d’adopter cette proposition, mais réfléchissons à donner à cette délégation les moyens de mener ses projets à bien.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je me félicite de l’intérêt que présente cette délégation. Cependant, ne laissons pas entendre qu’elle ne dispose d’aucun moyen. Au contraire, elle s’appuie sur l’ensemble des moyens du secrétariat général du ministère de l’intérieur et du ministère des outre-mer. Nous avons souhaité cette organisation souple, car elle permet d’éviter des coûts fixes élevés. Je pensais passer rapidement sur cette question, mais j’entrerai dans le détail : aujourd’hui, la délégation ne paie pas de loyers et s’appuie largement sur mes propres services, sans aucun décompte – tout cela se fait de façon souple et amicale, au point que d’aucuns pourraient craindre le regard de la Cour des comptes dans cette affaire. Quoi qu’il en soit, comme Annick Girardin, j’ai souhaité un dispositif de bon sens et très efficace – et, comme l’a dit le rapporteur spécial, un dispositif de proximité.
Vous proposez de doter la délégation de moyens spécifiques. Pourquoi cette somme-là plutôt qu’une autre ? Pourquoi ne pas dès lors lui imputer certains coûts ? Je crois au contraire qu’il faut conserver l’organisation en vigueur. Ne faisons pas la comparaison avec la DILCRAH – sur laquelle nous reviendrons plus tard, à l’occasion d’amendements qui comptent beaucoup pour moi –, car elle s’occupe de politiques publiques transversales. En l’espèce, la délégation est chargée d’apporter un appui au ministre.
C’est la deuxième raison : à moins que vous ne manquiez de confiance envers le serviteur qui se présente devant vous, le caractère interministériel des politiques de l’outre-mer, si j’en crois la Constitution et nos règles institutionnelles, relève du ministre des outre-mer. J’ai naturellement besoin d’aide et d’accompagnement ; c’est le rôle du délégué interministériel. Reste que si j’ai accepté l’honneur de la mission que le Président de la République m’a confiée sur proposition du Premier ministre, c’est que j’entends en animer moi-même la dynamique interministérielle. Or je crois savoir que des lignes bougent, preuve que je ne suis pas complètement inutile – ou, au moins, j’en forme le vœu devant vous.
Je vous propose donc de conserver en l’état l’esprit de cette délégation, même s’il faudra ajuster au fur et à mesure les différentes missions que nous lui confions. Je prends note des propos de M. Letchimy sur la nature même de ses missions : cette délégation ne sert naturellement pas à agrémenter ou gérer quelque lobby que ce soit, mais à déployer des politiques publiques au service de nos concitoyens, dont les attentes évoluent beaucoup – car à chaque génération d’hommes et de femmes correspondent des besoins particuliers. Dans le champ culturel, par exemple, je pense que nous pouvons aller beaucoup plus loin. Dans le domaine du sport, des choses ont été faites mais l’épidémie de covid-19 a éteint de nombreux événements et projets qu’il faudra naturellement veiller à remettre en route. Dédier une enveloppe à la délégation ne changera pas grand-chose à l’affaire. Le sujet essentiel est celui de la relation du ministre des outre-mer avec le ministère, avec le ministère de l’intérieur et les moyens que son secrétariat général met à la disposition de la délégation.
Je maintiens donc mon avis défavorable, en vous en ayant expliqué les raisons et en vous rassurant sur les missions de la délégation.
(Les amendements identiques nos 2202 et 2206
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 1905 et 1898, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Maina Sage, pour les soutenir.
Mme Maina Sage
Ces deux amendements de Mme Benin visent à renforcer les travaux de fiabilisation des bases de la fiscalité directe locale des communes dans les outre-mer, en y consacrant soit 500 000 euros supplémentaires – c’est l’amendement no 1905 –, soit un rapport qui permette au moins d’avancer sur ce sujet – c’est l’amendement de repli no 1898.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La commission ne s’est pas prononcée mais à titre personnel, je suis favorable à ces amendements.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Ces amendements sont satisfaits par les contrats Patient-Cazeneuve adoptés hier soir via le vote d’un amendement du Gouvernement. Par ailleurs, cela relève des directions régionales des finances publiques. Demande de retrait ou avis défavorable.
(Les amendements nos 1905 et 1898 sont retirés.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 2054.
M. Jean-Christophe Lagarde
Le transfert de crédits prévu par le présent amendement vise à étendre la prise en charge au titre de la continuité territoriale aux déplacements que les besoins de leur formation imposent aux étudiants que les carences du système d’attribution des bourses sur critères sociaux rendent inéligibles à celles-ci, et donc aussi au passeport mobilité.
Aujourd’hui, la prise en charge totale du billet d’avion dans le cadre du dispositif Passeport mobilité n’est accessible qu’aux étudiants boursiers. Or les plafonds d’éligibilité aux bourses délivrées sur critères sociaux ne sont pas adaptés à la cherté de la vie en Nouvelle-Calédonie, comme MM. Dunoyer et Gomès vous l’ont déjà fait remarquer, si bien que beaucoup de foyers modestes sont privés du bénéfice de ces bourses. Ainsi, seuls 27 % des étudiants calédoniens satisfont aux critères d’éligibilité, contre 38 % des étudiants en métropole. Cet écart n’est pas acceptable, d’autant que 63 % des étudiants ultramarins y ont accès : il y a donc un problème spécifique à la Nouvelle-Calédonie, où, du fait de la cherté de la vie, certains étudiants n’ont pas accès à ces bourses alors que leur famille ne peut pas prendre en charge leurs frais de déplacement.
Le coût du billet n’étant pris en charge qu’à hauteur de la moitié pour les étudiants non boursiers, le reste à charge est souvent trop élevé pour des familles modestes, qui renoncent de ce fait à financer la formation en métropole que souhaitent leurs enfants.
Le présent amendement vise à corriger cette inadéquation et anticipe l’extension du bénéfice des dispositifs de continuité territoriale destinés aux étudiants boursiers à certains étudiants qui, sans être boursiers, rencontrent des difficultés pour prendre en charge les déplacements nécessaires à leur formation.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Il y a là en effet, monsieur le président Lagarde, un véritable problème pour les outre-mer, où certains étudiants qui ne satisfont pas aux critères d’éligibilité aux bourses peinent cependant à financer leurs études. Il convient d’établir une continuité entre les étudiants boursiers et ceux qui, sans être boursiers, sont issus de familles dont les revenus sont trop modestes pour financer des études dans l’Hexagone.
À titre personnel, je suis donc favorable à l’amendement.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Je remercie le président de la délégation aux outre-mer pour son avis favorable, et je veux faire observer à M. le ministre qu’il y a un problème spécifique à la Nouvelle-Calédonie. Quand seuls 27 % des étudiants peuvent accéder aux bourses en Nouvelle-Calédonie, contre 63 % dans le reste des outre-mer, cela veut dire qu’on ne tient pas compte de la spécificité de ce territoire, empêchant trop d’étudiants d’un territoire déjà en butte à de graves difficultés politiques, qu’ils soient d’origine européenne ou mélanésienne, de poursuivre leurs études.
C’est la raison pour laquelle MM. Dunoyer et Gomès m’ont demandé de maintenir cet amendement. Ils espèrent, monsieur le ministre, que vous pourrez régler le problème. Il y a deux solutions : soit on adapte les critères d’éligibilité aux bourses aux spécificités de la Nouvelle-Calédonie, soit on étend le dispositif à l’ensemble des étudiants, boursiers ou non, des territoires et départements d’outre-mer.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Nous suivrons l’avis du Gouvernement.
(L’amendement no 2054 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 2155.
Mme Maina Sage
C’est le fameux amendement relatif à la continuité territoriale intérieure que j’aurais aimé voir discuté avec les autres amendements portant sur le même sujet. Il traite plus spécifiquement du cas des collégiens et des lycéens de Polynésie française. Pour le coup, il s’agit là d’une compétence partagée, monsieur le ministre, l’éducation finançant les déplacements que ces jeunes effectuent pour aller à l’école – parfois plusieurs heures de vol.
Cet amendement vise à étendre le bénéfice de ce dispositif aux déplacements que les élèves de Polynésie française doivent effectuer dans le cadre des stages professionnels qu’ils ont l’obligation de suivre au cours de leur cursus scolaire. Ainsi les élèves qui suivent une formation agricole dans l’archipel des Gambier, où vous êtes venu l’an dernier assister au congrès des maires à Rikitea, doivent dépenser 800 euros pour se rendre à Papeete suivre leurs stages, ce qui est beaucoup trop cher pour eux. Ils ne sont malheureusement pas éligibles à un dispositif que nous avons étendu il y a trois ans aux stages professionnels dans la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer.
Je vous demande d’être attentif à ce sujet lorsque vous adapterez le décret relatif à la continuité, que vous pourriez au moins étendre à ce cas spécifique de continuité intérieure.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La commission n’a pas examiné cet amendement. Sagesse.
(L’amendement no 2155, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 2194 et 2200.
La parole est à M. Guillaume Vuilletet, pour soutenir l’amendement no 2194.
M. Guillaume Vuilletet
Cet amendement me permettra d’endosser un autre rôle dans cette discussion budgétaire…
La loi du 27 décembre 2018, dont nous avons évalué l’application il y a peu, a pour objectif de résoudre le problème absolument crucial de la maîtrise foncière outre-mer en cas d’indivision successorale, ces indivisions paralysant complètement jusqu’à l’aménagement des villes.
Cette loi, votée à l’unanimité et qui fait d’une certaine façon peser sur les indivisaires une menace destinée à débloquer des situations, peine à donner pleinement ses fruits en raison des réticences qu’elle suscite, en particulier chez les notaires, comme le garde des sceaux l’a souligné récemment. On peut certes le regretter, mais c’est une réalité qu’il faut prendre en compte. Ces successions posent des problèmes extrêmement complexes dont la résolution est très coûteuse – nécessitant par exemple l’intervention de généalogistes.
Cet amendement vise en conséquence à donner aux collectivités locales la possibilité d’accompagner les notaires dans la résolution de ces problèmes successoraux, de façon à débloquer des projets aujourd’hui à l’arrêt faute d’une maîtrise foncière suffisante.
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement no 2200.
M. Serge Letchimy
Vous avez pu constater, monsieur le ministre, que nous avons débattu du budget des outre-mer de manière très pacifique et très constructive et que nous n’y avons rien gagné jusqu’à présent ! Après avoir refusé la dizaine de propositions que je vous ai déjà faites, acceptez au moins cet amendement !
C’est à vous de voir, mais il serait paradoxal que vous vous prononciez contre – et je ne parle même pas du président de la délégation aux Outre-mer, guadeloupéen et membre de la majorité ! – alors que la loi facilitant la sortie de l’indivision successorale a été souhaitée par le Président de la République : s’il n’avait pas autorisé les députés de La République en marche à présenter ce texte dans le cadre de leur niche parlementaire, nous n’aurions jamais pu le voter, je l’ai toujours dit.
Le ministre de la justice a partiellement réglé le problème en prenant un décret d’application qui permet d’avancer sur la question de la publicité des actes notariés, qu’elle soit numérique ou non, qui appelait des précisions. M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, a pris des initiatives extrêmement importantes, mais il reste compliqué d’accompagner les familles qui doivent avoir recours à des généalogistes ou à d’autres experts – car tout cela a un coût.
Ce que nous proposons, c’est qu’un fonds d’accompagnement puisse être sollicité dans le cadre de programmes d’aménagement lancés par une commune, un EPCI ou toute autre collectivité locale. Afin de ne pas déséquilibrer ce budget, nous proposons que la somme symbolique de 500 000 euros soit affectée à ce fonds pour permettre aux communes et aux collectivités de débloquer ces situations.
Laissez-moi vous rappeler un chiffre : près de 50 % de la propriété foncière privée de Martinique, de Guadeloupe et de La Réunion est en indivision, donc perdue pour des projets d’aménagement. Si on veut débloquer la situation, il faut aller beaucoup plus loin. Il serait paradoxal de ne pas voter ces amendements après avoir adopté cette loi à l’unanimité.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Je me réjouis que des députés de la majorité proposent un tel amendement. On constate en effet que la loi facilitant la sortie de l’indivision successorale a du mal à s’appliquer sur le terrain en raison de blocages de la part des notaires. C’est la raison pour laquelle le garde des sceaux, que j’ai rencontré, a pris le décret que vous avez évoqué, monsieur Letchimy, mais il faut à un moment donné faciliter les choses.
Puisque tous les élus des outre-mer, de la majorité comme de la minorité, semblent tout disposés à se déclarer favorables à cet amendement, comme je le suis moi-même au titre de la délégation et à titre personnel, la commission n’ayant pas examiné cet amendement, il devrait faire consensus.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je sens qu’un soupçon d’ingratitude va peser sur mes épaules !
Vous avez raison, monsieur Letchimy, de souligner le caractère consensuel et apaisé de nos discussions. Il faut dire que j’avais demandé à mon cabinet de travailler avec l’ensemble des groupes politiques en amont de l’examen de cette mission. À un combat d’amendements entre groupes politiques, avec des vainqueurs et des vaincus, je préfère la concertation avec les uns et les autres, soit au gré de mes déplacements, soit dans le cadre de travaux préparatoires qui nous permettent d’aboutir à des consensus. Ainsi nos propositions en matière de continuité territoriale ou sur les contrats Patient-Cazeneuve sont le fruit de nombreux mois de travail en commun. Ces victoires collectives traduisent un état d’esprit positif dans notre manière de travailler.
La loi qui porte désormais votre nom et qui vise, pour dire les choses le plus simplement possible, à faciliter l’accès au foncier dans les outre-mer est une autre de ces victoires collectives. M. Vuilletet a lui aussi largement contribué à cette avancée, c’est le moins qu’on puisse dire, en lien avec le Sénat.
À défaut d’être assez spectaculaire pour faire la une du journal de vingt heures, elle l’est sur le plan de l’exécution des projets de construction. On ne peut en effet prétendre résoudre les problèmes de logement – nous avons longuement évoqué la ligne budgétaire unique, la LBU, cette nuit – sans lever tous les freins à la construction et l’accès au foncier, notamment privé, en est un des plus importants. C’est ce qui rend cette œuvre commune aux députés de la majorité comme de la minorité – je préfère ce terme à celui d’opposition – assez remarquable.
Ensuite, si j’ai bien compris le contenu de ces amendements, grâce à un fonds d’avance, l’État permettrait aux collectivités de donner de l’argent aux notaires, le temps de la recomposition foncière destinée à retrouver les différents héritiers et ayants droit. Est-ce à l’argent public d’indemniser les notaires sur la base de surcoûts éventuels qui n’ont pas été complètement quantifiés ? Vous constaterez que je sépare cette question de principe de l’excellent travail accompli sur le fond de cette affaire – il m’apparaît d’ailleurs cohérent de ne pas lier les deux. D’aucuns pourraient en effet faire valoir, et c’est un peu ce que le garde des sceaux vous a signifié, qu’on pouvait s’y prendre d’une manière différente. Vous avez vous-même rappelé l’existence du décret qui va bientôt produire ses effets et, comme dirait l’autre, simplifier la manœuvre. D’autres pourraient avancer qu’un tel dispositif créerait un flux de transactions qui finira pas se débloquer et que les notaires vont pouvoir, certes pas dans l’immédiat, se rémunérer comme il se doit sur les transactions à venir : les successions vont finir par être soldées et les transactions foncières être réalisées.
Je ne vous cache pas que je suis très réservé – non pas sur votre intention, que je trouve très juste, bonne – car si nous commençons à débloquer de l’argent public, celui de l’État et des collectivités territoriales, pour rémunérer les notaires d’un travail pour lequel ils pourront être rémunérés ultérieurement – pardonnez-moi d’être aussi schématique, et je ne voudrais pas que les notaires qui nous écoutent décèlent un quelconque mépris dans mes propos, car j’ai le plus grand respect pour cette fonction éminemment importante dans la République –, je ne suis pas certain que nous fassions œuvre de bonne gestion des deniers publics. C’est cette seule raison – la seule, j’y insiste – qui motive mon avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Je suis sensible à vos arguments, monsieur le ministre, et je vais retirer mon amendement. Reste une question : quand il s’agit de terrains de très mauvaise qualité parce qu’ils ont été abandonnés parfois pendant des décennies, la notion de rémunération, pour le notaire, est quelque peu aléatoire. Surtout, il existe un risque juridique parce que les successions sont en effet des plus complexes. Il faudra donc traiter ce problème d’une façon ou d’une autre et je ne suis pas sûr que la manière dont nous avons abordé le sujet soit la plus efficace. Mais nous vous faisons confiance, ainsi qu’à la chancellerie, pour trouver d’autres mesures d’accompagnement.
(L’amendement no 2194 est retiré.)
M. le président
Retirez-vous le vôtre, monsieur Letchimy ?
M. Serge Letchimy
Monsieur le ministre, mon intervention porte sur ce qui vous a amené à donner un avis défavorable et j’espère que vous reviendrez sur votre décision. Il ne faut pas faire de procès d’intention aux notaires. Je suis assez sévère quand j’évoque l’application de la loi. Pour des raisons à la fois structurelles et techniques, faire des recherches sur des générations pour régler une succession n’est pas un travail facile. Ensuite, ces recherches sont rendues très compliquées par l’origine du foncier : on est toujours confronté à un problème de titres de propriété. Enfin, les recherches généalogiques qui aboutissent à la désignation parfois de dizaines d’héritiers représentent un travail très pénible. C’est pourquoi nous considérons qu’il ne faut pas tant rémunérer qu’accompagner les notaires.
Si cet amendement était voté, nous aurions certainement le temps, avec le ministère de la justice, celui des outre-mer et les collectivités concernées, de déterminer où sera placé cet argent et à quoi exactement il sera affecté. C’est une décision politique que je vous demande de prendre pour débloquer la situation et ensuite nous pourrons constituer une équipe pour définir dans les moindres détails les modalités d’utilisation du fonds d’avance. Autrement, nous laisserions passer l’occasion de créer une dynamique devant permettre le déblocage du foncier en outre-mer. Or cette occasion ne se présentera pas à vous plusieurs fois. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de bien vouloir revenir sur votre décision et, comptant sur votre esprit constructif, de prendre une position politique.
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
L’organisation du foncier, en Polynésie, est spécifique et certaines situations sont inextricables, si bien que je comprends qu’on ait déposé ces amendements. Je vous citerai l’exemple de la Corse qui a créé un groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété, le GIRTEC. Nous avons pour notre part, en Polynésie, une direction des affaires foncières, nous avons créé un bureau des avocats – une spécificité dans notre République, un tel bureau n’existant nulle part ailleurs. Nous retrouvons ce problème partout en outre-mer où ce type de structure est nécessaire.
Le fait d’avoir voté, l’année dernière, un amendement sur la continuité territoriale en matière funéraire nous a permis non pas de dépenser de l’argent mais, à force de réunions, d’avancer sur le fond, si bien que le Gouvernement pourra demain sortir un décret modifiant plusieurs critères afin que le dispositif soit mieux adapté.
Je vais donc voter cet amendement car il faut que nous fassions de cette réforme une réalité. Croyez-moi, on a mis quinze ans pour aboutir en Polynésie : nous avons désormais un tribunal foncier, nous disposons de moyens dédiés. J’ai interpellé cette semaine le ministre de la justice à ce sujet. C’est un long travail et ce n’est pas parce que nous allons en voter le principe aujourd’hui que l’on aboutira à un résultat dans le mois qui vient. Je vous demande donc, monsieur le ministre, d’y réfléchir.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Nos avis divergent, madame Sage, concernant l’architecture budgétaire. Vous êtes députée, je suis ministre… Or, autant la continuité territoriale relève, historiquement, du budget de l’outre-mer, autant ce n’est pas le cas de l’accompagnement financier des notaires. Je comprends vos intentions mais si l’amendement était voté, ce serait au budget de l’outre-mer de payer pour ce dispositif.
Monsieur Letchimy, vous m’avez demandé de prendre une position politique – ce qui me parle. Je préférerais que vous retiriez votre amendement ; en effet, je n’ai pas envie qu’il soit rejeté car je n’en conteste pas le fond. Il vaudrait mieux quantifier rapidement les surcoûts et lancer une initiative sur les tarifs avec M. Vuilletet, vous-même et tous les parlementaires qui souhaitent en être. On peut très bien imaginer une évolution tarifaire de la grille notariale en fonction des cas spécifiques connus. Une différenciation est de ce point de vue envisageable. Il faudrait aussi revoir la question des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, dans les territoires d’outre-mer.
Je préfère, donc, travailler dans cette direction. Et soyons cohérents jusqu’au bout : impliquons les notaires, tant il est difficile d’avancer, d’un point de vue professionnel, sur ce type de sujets. Il vaut mieux chercher à comprendre comment tout cela fonctionne plutôt que de commencer à engager l’argent de l’État. Pensons à nos successeurs quand, dans trois ou quatre ans, on aura avancé convenablement et qu’il faudra retirer cette dépense du budget parce qu’on se demandera pourquoi de l’argent public est consacré à l’accompagnement des notaires et pour combien de temps encore.
Pour donner suite à votre interpellation, qui ne fait que s’inscrire dans la continuité de votre travail collectif, je prends devant vous l’engagement politique de travailler avec le garde des sceaux, tout en organisant une petite concertation pour ne pas donner l’impression qu’on augmente les prix trop vite, dans l’idée qu’à un travail particulier doit correspondre une rémunération particulière – qui n’est pas forcément assurée par le ministère des outre-mer dont j’ai la responsabilité…
M. le président
Retirez-vous votre amendement monsieur Letchimy ?
M. Serge Letchimy
Oui. Je souscris complètement à la démarche que vous proposez, monsieur le ministre. Je pense que c’est la bonne méthode. Et si ces amendements identiques n’étaient pas seulement des amendements d’appel, car nous espérions qu’ils seraient votés, vos arguments me semblent assez cohérents. Aussi, si vous pouviez mettre en place cette petite cellule de réflexion, j’y participerais bien entendu volontiers.
(L’amendement no 2200 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour soutenir l’amendement no 2203.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Nous avons un souci avec l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, LADOM. Le fait que l’Agence ne compte que 127 équivalents temps plein travaillé – ETPT – depuis plusieurs années aboutit à des dysfonctionnements. Ainsi, pour ce qui est de l’antenne de Guadeloupe, au moins quatre postes sont occupés par des intérimaires alors qu’ils devraient l’être par des personnes engagées en contrat à durée indéterminée. Nonobstant l’illégalité de cette situation, on constate, je l’ai dit, un dysfonctionnement organisationnel patent, qu’on retrouve du reste à l’antenne d’Orléans.
Ce n’est pas moi qui l’affirme mais des personnes sur place, en Guadeloupe, et aussi le directeur général de l’Agence lui-même. Or vous savez l’importance de LADOM, monsieur le ministre. Vous-même vous employez à faire partir nos forces vives, mais vous voulez également les faire revenir, et nous y travaillons également, en Martinique, en Guadeloupe et nous en sommes très contents. Il ne faudrait toutefois pas que la situation de nos étudiants, de nos demandeurs d’emploi, de ceux qui doivent partir pour l’hexagone, en reviennent pour se retrouver dans une situation détériorée. Or, comme c’est le cas, nous vous demandons d’examiner cet amendement avec bienveillance.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je ne pense pas que la résolution du problème que vous soulevez doive passer par une augmentation du nombre d’ETPT. Le recours aux intérimaires a en effet plutôt bien fonctionné malgré tout et a permis de rattraper beaucoup de retard. Et si nous nous disons la vérité, car vous connaissez bien cette institution, l’enjeu pour LADOM consiste aussi à avancer dans les partenariats avec Pôle emploi et à se connecter avec les autres opérateurs de l’État pour éviter des redondances. Donc je ne pense pas que ce soit en augmentant les coûts de fonctionnement de l’établissement public que nous résoudrons les problèmes qui vont se poser. La réponse me paraît devoir être plus structurelle et il me faut trouver le temps de m’y consacrer. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
Retirez-vous votre amendement, monsieur le rapporteur spécial ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Oui, monsieur le président.
(L’amendement no 2203 est retiré.)
M. le président
Sur l’ensemble des crédits de la mission « Outre-mer », je suis saisi par le groupe UDI et indépendants d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Raphaël Gérard, pour soutenir l’amendement no 1199.
M. Raphaël Gérard
En 2018, avec nos collègues Laurence Vanceunebrock et Gabriel Serville, nous avons remis à la délégation aux outre-mer un rapport d’information sur la lutte contre les discriminations anti-LGBT – lesbien, gay, bi, trans – dans les outre-mer. Je remercie le président Serva d’avoir commandé ce rapport qui a levé le tabou de la discrimination des personnes LGBT dans les territoires ultramarins et suscité beaucoup d’espoir.
Il y a une quinzaine de jours, Elisabeth Moreno a présenté un plan national de lutte contre les discriminations qui comporte un volet pour l’outre-mer, ce dont on ne peut que se réjouir. On observe toutefois que les crédits de l’action 04 de l’action 123 « Conditions de vie outre-mer », qui vise à soutenir les actions de lutte contre les discriminations menées par les acteurs associatifs, n’ont pas été augmentés pour 2021. Cela me laisse craindre un défaut d’anticipation budgétaire parce que le grand mérite du plan lancé par Elisabeth Moreno est de confier des responsabilités et l’animation de certaines dispositions à d’autres ministères.
Notre rapport insistait sur le fait que le tissu associatif était très fragile et avait besoin à la fois d’être consolidé et accompagné pour pouvoir mener ses actions. Si la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, la DILCRAH, aide ces associations très régulièrement, ce n’est pas le cas du ministère des outre-mer.
Les mesures de confinement prises dans certains territoires ultramarins – je pense à la Martinique – surexposent les jeunes LGBT à des risques de violences physiques et psychologiques au sein même de leur famille. C’est pourquoi il est essentiel que le Gouvernement veille à ce que ces associations locales disposent de tous les moyens nécessaires pour mener leur action, et en ce moment plus que jamais.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Il me semble, cher collègue, que vous venez de défendre plutôt votre amendement no 1187, mais je suis tout à fait d’accord avec vous. Vous avez rappelé le travail que nous avons effectué au sein de la délégation aux outre-mer avec Laurence Vanceunebrock, Gabriel Serville et vous-même. Or ce travail a eu des suites concrètes puisque, en Guadeloupe, a été installée une ligne d’écoute qui a éveillé un certain écho, un certain intérêt, notamment en cette période de confinement où la promiscuité avec la famille peut engendrer des brutalités psychologiques, voire physiques. Une telle ligne d’écoute existe également en Guyane. Il serait utile d’en mettre une en place en Martinique, les députés de l’île y seraient sensibles. Je suis donc tout à fait favorable à cet amendement, ainsi qu’à votre amendement no 1199.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Vous avez eu raison, monsieur le député, de présenter deux amendements distincts car, sur les questions qu’ils traitent, on ne part pas du même point. L’un, l’amendement no 1199, porte sur l’égalité homme-femme, les discriminations envers les femmes et les violences faites aux femmes ; l’autre, l’amendement no 1187, sur les violences faites aux homosexuels, l’homophobie et l’accompagnement des jeunes dans leur sexualité. Si vous le permettez, monsieur le président, je m’exprimerai sur ces deux amendements dans cette même intervention.
M. le président
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Sur les violences faites aux femmes, un effort financier important est inscrit dans le budget des outre-mer depuis 2017, avec 1 million d’euros. Je tiens d’ailleurs à la disposition des parlementaires la liste des associations engagées sur ces sujets, qui font un travail remarquable.
Si, monsieur Gérard, vous avez évoqué d’emblée la lutte contre la haine anti-LGBT, c’est parce que c’est là qu’il y a le plus de faiblesses. Tout d’abord, on ne peut pas parler de ces dispositifs dans « les » territoires d’outre-mer, mais il faut désormais parler au cas par cas car, comme M. Serva l’a dit, des initiatives ont été prises, en Guadeloupe, par exemple, avec la ligne d’écoute, et cela avance bien, tandis qu’en Guyane on constate un retard très important du maillage associatif, notamment dans la lutte contre l’homophobie. La réponse doit donc être définie territoire par territoire, compte tenu des aspects culturels et sociaux parfois très différents, voire d’une omerta qui existe encore – il faut savoir nommer les choses clairement, sinon il n’y aura jamais d’émancipation ni de protection pour nos concitoyens qui entendent être libres et protégés pour vivre leur homosexualité ou leur bisexualité.
La première des choses, et nous y travaillons avec la ministre Élisabeth Moreno, c’est de repasser par les voies régaliennes. Avant même l’accompagnement associatif, nous devons réaliser un travail important de sensibilisation des parquets et des officiers de police judiciaire. Trop de violences verbales et physiques, sont aujourd’hui passées sous silence : des jeunes hommes et des jeunes femmes ont du mal à porter plainte dans des commissariats ou des gendarmeries d’outre-mer après avoir été victimes d’une violence homophobe. C’est un retard dramatique, scandaleux, épouvantable, qui doit tous nous mobiliser et à propos duquel le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux, et moi-même avons formulé des instructions. Nous le ferons à nouveau, notamment à la faveur de déplacements ministériels à venir, pour que l’autorité judiciaire se montre à l’écoute. Ces violences font parfois l’objet – pour dire les choses de manière diplomatique – d’une minoration culturelle ou globale très préoccupante.
Nous avons aussi, vous avez raison de le dire, un devoir important d’accompagnement des structures associatives dans ces territoires. Je souhaite qu’en Guyane le rattrapage s’accomplisse désormais très vite. Jusqu’à présent, les choix budgétaires ont plutôt consisté à faire porter la question de l’égalité homme-femme par le budget du ministère des outre-mer et la lutte contre la discrimination anti-LGBT par celui de la DILCRAH.
Je vous propose de retirer ces amendements, mais pas pour différer l’action à un lendemain lointain : je veux au contraire, en lien avec la DILCRAH, qui est particulièrement mobilisée sur ces sujets, que nous commencions très rapidement à travailler à une stratégie territoire par territoire. Les questions se posent différemment selon l’étendue d’un territoire – que l’on compare, par exemple, la Guyane à des territoires plus petits. De même, plus le poids de la religion ou de la coutume se fait sentir, plus il est difficile de libérer la parole. Il faut donc une stratégie au cas par cas, comme je l’ai évoqué en Nouvelle-Calédonie, où vivre son homosexualité dans des tribus est parfois difficile et peut même donner lieu à des situations violentes. Il faut avancer et, pour cela, se donner des indicateurs chiffrés.
Un des problèmes qui se posent est que ce sont les associations établies dans l’hexagone qui répondent aux appels à projets : s’il s’agit d’une bonne nouvelle en ce que qu’elles disposent souvent du savoir-faire et de l’ingénierie nécessaires, le travail en outre-mer présente cependant des spécificités qui requièrent un accompagnement particulier.
Nous n’avons pas à rougir de ce qui a été fait depuis 2017, et même avant, et nous observons des mouvements, notamment sur le terrain culturel, mais nous allons désormais aborder la dernière ligne droite, le dernier kilomètre, avec notamment un rattrapage nécessaire pour certains territoires, qu’il ne s’agit évidemment pas de stigmatiser.
Voilà, monsieur le député, une réponse très complète sur vos deux amendements. Je salue, une fois, encore, votre engagement et votre détermination, qualités dont il faut faire preuve en abordant ces questions.
M. le président
La parole est à M. Raphaël Gérard.
M. Raphaël Gérard
J’ai inversé l’ordre de mes deux amendements, en commençant par défendre celui qui concerne les discriminations anti-LGBT, l’amendement no 1187. Monsieur le ministre, il est urgent de lancer urgemment un appel à projets territoire par territoire, comme vous venez de le dire, et je compte beaucoup sur vous pour le lancer et pour faire savoir que vous pouvez accompagner les associations en tenant compte des spécificité de l’outre-mer. Je ne doute pas de l’engagement de Mme Moreno pour lutter contre les discriminations anti-LGBT et prendre en compte la spécificité des territoires ultramarins, mais il faut que cette question soit portée par votre ministère. Je vais retirer l’amendement no 1187, compte tenu de votre engagement d’organiser une revoyure et des points réguliers sur l’avancée du soutien aux associations.
Quant à l’amendement no 1199, il vise, lui aussi, une vraie urgence, à propos de laquelle j’ai essayé d’alerter Mme Moreno voilà deux jours lors de l’examen des crédits de la mission relevant de sa responsabilité. Le budget du ministère des droits des femmes est en augmentation de 40 %, geste fort qui positionne cette thématique comme la cause du quinquennat. Cependant, dans les outre-mer, le budget correspondant baisse de 40 %. Mme Schiappa annonçait l’an dernier 800 000 euros supplémentaires pour la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ultramarins ; dans la réalité, le budget attribué à cette politique a baissé de 800 000 euros en 2020 et baissera d’un peu plus de 165 000 euros en 2021.
Pour prendre un exemple que M. Letchimy connaît bien, l’association SOS Kriz, à la Martinique, a reçu 1 200 appels pendant la période de confinement, alors que le 3919 en a reçu seulement 111 de l’ensemble des territoires ultramarins. Cela montre que la réponse doit être locale et portée par les associations ultramarines, et qu’il faut y mettre des moyens, sous peine d’abandonner les femmes victimes de violences dans les outre-mer. Je retire l’amendement.
(Les amendements nos 1199 et 1187 sont retirés.)
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement no 1877.
M. Serge Letchimy
Je vous prie d’excuser Josette Manin, qui ne peut être présente aujourd’hui. Son amendement est un amendement d’appel qui me paraît essentiel pour bien faire comprendre ce que j’ai dit au début. Le périmètre du ministère de l’outre-mer devrait en effet être modifié en profondeur, afin d’assurer, pour le ministère comme pour nous, localement, une lisibilité budgétaire sur une politique de projets.
Pour l’instant, vous gérez 10 % d’un budget global et l’exemple choisi par Josette Manin est, à cet égard, très clair. L’attractivité de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane ou de La Réunion doit s’inscrire dans une réflexion, dans une dynamique et dans des projets. Mme Manin propose ainsi à l’État et aux autorités locales la création d’une école caribéenne des sapeurs-pompiers et des métiers de la sécurité civile. Il ne s’agit pas, avec cette proposition majeure, de créer une école pour créer une école ! Contrairement à l’idée fausse que la Caraïbe se composerait d’îles peu peuplées, le bassin caribéen compte 40 millions d’habitants. Il se situe, en outre, à deux heures de l’Amérique centrale, deux heures du Brésil et deux heures trente ou trois heures des États-Unis. Créer localement une école de cette nature, c’est donner à la Martinique un pôle d’attractivité et répondre en même temps à un besoin fondamental de formation continue des forces de secours et de lutte contre les incendies pour les Antilles-Guyane, en coopération avec ces îles. Mme Manin propose donc d’affecter des fonds afin de commencer à programmer ce projet.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Vous interpellez le Gouvernement sur un sujet important : la France des outre-mer et sa place géopolitique sur les trois océans. Il existe un intérêt particulier pour la stratégie indo-pacifique – on le comprend, pour l’océan Indien et le canal du Mozambique –, mais on a souvent négligé la place géopolitique des outre-mer dans l’Atlantique, avec la Caraïbe et l’Amérique du Nord et du Sud. Cet amendement d’appel, qui aborde le sujet par un petit bout – les sapeurs-pompiers –, pose le problème de la place géopolitique de la France dans la Caraïbe. J’y suis favorable à titre personnel, la commission ne s’étant pas prononcée.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
L’humilité nous commande de dire, monsieur Serva, que nos prédécesseurs ont, heureusement, déjà fait avancer quelques grandes coopérations au sein de la Caraïbe, notamment pour la prévention des risques naturels, qui a donné lieu à des accords aujourd’hui opérationnels, même s’ils méritent peut-être d’être revus ou actualisés. Je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent considèrent que nous partons de rien.
Si je demande le retrait de l’amendement, je n’en retiens pas moins la proposition, qui devrait être formulée par les SDIS, les services départementaux d’incendie et de secours, de Martinique et de Guadeloupe – car j’ai la conviction que cela ne fonctionnera que si cela vient du terrain, et les élus locaux président les SDIS et participent à leur administration.
Je peux, pour ma part, donner des instructions aux préfets pour qu’ils accompagnent cette demande, qui doit viser à préfigurer une entité de formation et d’accompagnement qui soit plutôt souple et molle – car il me semble qu’une structure dure ne fonctionnera pas. L’État peut, sans du reste y consacrer de nouveaux crédits, donner des instructions en ce sens à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers, qui est la structure chargée de valider les formations. De fait, il ne s’agit pas seulement de former, mais aussi de délivrer des agréments qui ont de la valeur, surtout lorsqu’il est question de sécurité civile – en cas de sinistre, mieux vaut être secouru par des gens reconnus par les pouvoirs publics comme aptes à le faire !
Si les SDIS des deux territoires, et peut-être aussi ceux de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et, pourquoi pas, de la Guyane, veulent avancer sur une offre de coopération régionale en la matière, je serai favorable à ce que l’État accompagne ce projet. Cependant, mieux vaut y mettre, plutôt que des fonds, des moyens humains d’accompagnement et d’ingénierie, notamment avec les services du ministère de l’intérieur, la direction générale de la sécurité civile et, surtout, l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers.
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy
Monsieur le ministre, vous venez de faire une déclaration d’une importance capitale. Personnellement, je milite pour la création d’une université de la biodiversité quelque part en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe, ainsi que pour celle d’une université de la mer, certainement du côté de la Polynésie. On est trop réducteur lorsqu’il s’agit des fonctions régaliennes et de la formation universitaire qui peuvent contribuer à l’attractivité de l’outre-mer, ce qui justifie tant le BUMIDOM et LADOM que l’aspiration des jeunes de ces territoires à partir vers l’hexagone.
Je prends donc note de vos propos. Je souhaiterais que Mme Manin puisse vous adresser un courrier pour compléter son amendement – que je vais retirer –, afin que vous puissiez saisir les structures susceptibles d’accompagner la mise en œuvre d’une telle opération.
(L’amendement no 1877 est retiré.)
M. le président
Je mets aux voix les crédits de la mission « Outre-mer ».
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 89
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 87
Contre 2
(Les crédits de la mission « Outre-mer », modifiés, sont adoptés.)
Après l’article 55
M. le président
Nous poursuivons notre discussion avec plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 55.
Je suis saisi de deux amendements, nos 2209 et 2223, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour soutenir l’amendement no 2209.
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Il est satisfait en très grande partie par celui du Gouvernement, sur la continuité territoriale funéraire. Je suis très content de cette avancée significative, qui signale la très bonne volonté du ministère de l’outre-mer. Je retire donc l’amendement.
(L’amendement no 2209 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 2223 rectifié.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je crois pouvoir dire qu’il est défendu : je l’ai présenté en plusieurs épisodes depuis au moins trois heures ; aucun effet de surprise donc ! (Sourires.)
Ce n’est pas tant un amendement du Gouvernement que le résultat d’un travail collectif, mené en amont avec l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée, la délégation aux outre-mer et les groupes de travail créés par le ministère.
Mme Danielle Brulebois
Très bien !
M. Sébastien Lecornu, ministre
S’il me revient, pour des raisons juridiques, de le défendre devant vous, cet amendement est en réalité celui du Parlement. La mesure qu’il propose constitue une avancée pour nous tous, sur un sujet malheureusement source de peine et de douleur. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Avis favorable.
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
Je vous remercie de cet amendement, monsieur le ministre, et je réitère la demande que je vous ai faite en commission afin que cette aide puisse être exceptionnellement attribuée sous forme d’une avance de l’État, contrairement aux autres aides, pour lesquelles il est souvent nécessaire d’avancer l’argent avant de se faire rembourser. Dans ces situations d’urgence, en effet, les familles ont bien souvent des difficultés à payer leurs frais de transport. Nous souhaiterions que le décret prévoie la prise en charge directe de ces frais. En tout état de cause, nous voterons en faveur de l’amendement.
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Je soutiens également cet amendement, qui permet en effet de soulager un peu la douleur des familles. Ce dispositif mériterait d’être étendu d’un département d’outre-mer à l’autre. De fait, l’amendement prévoit qu’il s’applique entre l’outre-mer et l’hexagone, mais rien n’est prévu pour un transport qui devrait avoir lieu, par exemple, entre La Réunion et la Guyane, alors que de tels cas sont fréquents.
J’avais déposé un sous-amendement en ce sens, mais il a malheureusement été retoqué. Le Gouvernement serait-il prêt à améliorer l’amendement en précisant que les déplacements entre les départements d’outre-mer sont également concernés ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre
S’il m’est permis de modifier oralement l’amendement, monsieur le président,…
M. le président
J’allais vous y inviter, monsieur le ministre !
M. Sébastien Lecornu, ministre
…– je le sentais bien ! (Rires) – nous pourrons travailler dans la coconstruction jusqu’au bout et j’aurai été magnanime jusqu’aux bancs de La France insoumise – j’espère que vous vous en souviendrez, monsieur Ratenon ! (Sourires.)
Je propose de rectifier l’amendement en y ajoutant, après les mots : « l’aide à la continuité territoriale intervient en faveur des personnes mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 1803-2 et régulièrement établies sur le territoire », les mots : « ou résidant dans une des collectivités mentionnées à l’article L. 1803-2 autres que celle où se déroulent les obsèques. »
Le dispositif juridique inclura ainsi les liaisons entre les départements d’outre-mer. Quand bien même une seule famille serait concernée, nous aurions au moins fait ainsi œuvre de fraternité républicaine. (Applaudissements sur tous les bancs.)
(L’amendement no 2223, deuxième rectification, est adopté.)
M. le président
Nous en venons à une série d’amendements qui demandent la remise de rapports au Parlement.
L’amendement no 1908 de Mme Justine Benin est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Avis de sagesse.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
L’amendement est satisfait : demande de retrait ou avis défavorable.
(L’amendement no 1908 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 2184.
M. Jean-Hugues Ratenon
Monsieur le ministre, vous avez souligné à plusieurs reprises que les crédits alloués au logement n’étaient pas utilisés. Nous demandons un rapport pour éclairer l’utilisation partielle de la ligne budgétaire unique et le coût qu’elle engendre. Ainsi pourrons-nous réfléchir à un renforcement de la résorption des habitats insalubres – également évoquée par ma collègue Nathalie Bassire – et de la construction de logements tout en répondant aux besoins d’accessibilité des personnes vieillissantes, handicapées et dépendantes dans les outre-mer.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Entre le rapport de la Cour des comptes, le rapport annuel de performance de la mission « Outre-mer » et le rapport du PLOM, le plan logement outre-mer, nous disposons d’éléments suffisants pour être édifiés quant à la situation. Avis défavorable à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Il est défavorable, mais pas sur le contenu de l’amendement en tant que tel. Nous avons beaucoup parlé de ce sujet depuis hier et, soyons honnêtes, le récent rapport de la Cour des comptes donne déjà de nombreuses informations ; je ne suis donc pas certain qu’un nouveau rapport apporterait grand-chose. Notre principal objectif, aujourd’hui, doit être d’avancer, d’un point de vue opérationnel, dans la simplification.
Je vous invite à retirer l’amendement, mais j’y serai peut-être favorable l’année prochaine si nous avons progressé dans l’accès au foncier et dans l’ingénierie – je ne reviens pas sur tout ce que nous avons déjà dit hier soir.
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Je prends acte de votre proposition, monsieur le ministre. Rendez-vous l’année prochaine ! Je retire l’amendement.
(L’amendement no 2184 est retiré.)
M. le président
L’amendement no 1496 de M. Jean-Hugues Ratenon est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Je serai un peu plus long que vous, monsieur Ratenon, car cet amendement soulève une question importante : le soutien au déploiement des énergies renouvelables en outre-mer.
Monsieur le ministre, je veux alerter le Gouvernement quant au fait que le soutien au photovoltaïque en outre-mer serait remis en cause de manière rétroactive par le ministère de la transition écologique. Environ 500 emplois et 50 millions de crédits seraient menacés. Je sais que cela ne dépend pas directement de votre ministère, mais du gouvernement auquel vous appartenez. Nous attendons donc des éclaircissements sur le soutien aux énergies renouvelables et au photovoltaïque d’ici à 2030. Je vous invite par ailleurs à la plus grande vigilance sur ce sujet, qui exige un minimum de concertation avec les représentants ultramarins avant de laisser fuiter dans la presse des informations sur une possible remise en cause des dispositifs de soutien au photovoltaïque, qui sont structurants pour les outre-mer dans la perspective d’une autonomie énergétique à l’horizon 2030. Le signal envoyé aujourd’hui n’est pas le bon. Avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je suis défavorable à la demande d’un rapport à la direction générale de l’énergie et du climat car les documents relatifs à la programmation pluriannuelle de l’énergie nous fourniront les informations attendues. Je partage cependant la préoccupation de M. Serva. Quand j’étais jeune, j’ai occupé la fonction de secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire et je crois beaucoup au photovoltaïque. Nous avons fait bouger les lignes sur ce sujet. Il serait incompréhensible que nous ne parvenions pas à diversifier notre mix électrique dans des territoires qui ne manquent pas de soleil. Nous y parvenons aujourd’hui, notamment à La Réunion, votre département, grâce à l’hydroélectricité, mais nous avons du retard à rattraper dans le photovoltaïque. Je resterai donc vigilant sur ce sujet, que je m’engage à défendre au niveau interministériel. En tout état de cause, je vous invite à retirer l’amendement.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Vous avez beaucoup vieilli depuis que vous occupiez la fonction de secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire : vos raisonnements sont désormais empreints de la plus grande sagesse, ce dont je me réjouis ! (Sourires.)
Toutefois, le rôle du Parlement est de contrôler l’action du Gouvernement et de présider à la rédaction de ses propres rapports comme à la tenue de ses propres commissions d’enquête. Par principe, nous sommes donc opposés à l’ensemble des amendements qui demandent des rapports au Gouvernement. À n’en pas douter, nous soutiendrons la même position l’année prochaine.
(L’amendement no 1496 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 1904.
Mme Maina Sage
Il est retiré.
(L’amendement no 1904 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 1909.
Mme Maina Sage
Cet amendement de Mme Benin demande lui aussi la remise d’un rapport. Permettez-moi de revenir sur la précédente intervention : quand le Parlement demande un rapport au Gouvernement, c’est qu’il n’est pas en mesure d’obtenir seul les réponses à ses questions. Passer par la loi permet de contraindre le Gouvernement à respecter un certain délai dans la remise d’un rapport. Voilà pourquoi, selon moi, nous devons nous garder de juger sans intérêt tous les rapports demandés au Gouvernement.
En l’occurrence, le rapport demandé par Mme Benin et plusieurs de nos collègues devrait nous paraître à tous nécessaire, et à vous également, monsieur le ministre : il concerne les modalités de recouvrement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties dont l’ONF, depuis 2019, est redevable aux collectivités locales de Guyane, qui ne parviennent pas à percevoir ladite taxe.
Étant donné votre expérience, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous expliquer les raisons de ce blocage et répondre à l’appel lancé avec cet amendement ? Les demandes de rapport visent aussi à sensibiliser le Gouvernement sur des sujets graves…
Aujourd’hui, une taxe qui devrait être perçue légalement ne l’est pas. Il y a peut-être une explication, mais les députés des Antilles s’inquiètent et attendent des réponses.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Avis favorable à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Je vous invite à retirer l’amendement, qui est satisfait. Depuis un an, en effet, l’ONF s’acquitte de la taxe que vous évoquez. Le problème est donc réglé.
Quant aux demandes de rapport, je vais bientôt siéger dans une autre chambre, mais je souscris aux propos de M. Vuilletet. Les services de l’État qui produisent les rapports sont les mêmes que ceux qui répondent aux questions écrites des parlementaires. N’hésitez pas à me solliciter si certaines de vos questions restent sans réponse. Selon la formule consacrée, les membres du Gouvernement sont à la disposition du Parlement. Vous n’êtes pas obligés d’attendre le projet de loi de finances pour nous interroger.
D’après mon expérience, j’avais cru comprendre que les demandes de rapport constituaient surtout un moyen de contourner l’article 40 de la Constitution. Je me suis sans doute trompé !
M. le président
La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage
Vous avez raison, monsieur le ministre, il s’agit parfois de contourner l’article 40, mais ce n’est pas le cas ici. L’amendement ne propose aucune charge supplémentaire. Certes, l’ONF s’acquitte désormais de la taxe, mais elle n’est pas reversée aux collectivités. Les élus des territoires concernés ne comprennent pas pourquoi.
J’ai cependant entendu votre invitation à interroger directement vos services, que je transmettrai à Mme Benin afin que la situation puisse être réglée. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 1909 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Ramlati Ali, pour soutenir l’amendement no 2063.
Mme Ramlati Ali
Le rapport du sénateur Georges Patient et de notre collègue Jean-René Cazeneuve, intitulé « Soutenir les communes des départements et régions d’outre-mer : pour un accompagnement en responsabilité », a souligné des dysfonctionnements dans certaines directions régionales des finances publiques – DRFiP – des départements et régions d’outre-mer – DROM. On constate, en effet, une répartition peu cohérente, entre les DRFiP ultramarines, des effectifs permanents affectés aux missions cadastrales. Comme souvent, ce sont la Guyane et Mayotte qui sont les plus défavorisées, et cette fois-ci la Guyane plus que Mayotte.
Le manque d’attractivité des affectations a pour conséquence des difficultés de gestion, auxquelles le rapport propose de remédier dans sa recommandation n° 16, notamment en favorisant le recrutement de personnels locaux. Il est proposé que, pour pallier le manque d’attractivité des affectations en Guyane et à Mayotte, la DGFiP – direction générale des finances publiques – s’attache « à diversifier ses voies de recrutement, soit en embauchant localement des personnels contractuels ayant déjà un bon niveau académique, soit en accueillant en détachement certains fonctionnaires territoriaux déjà en activité dans ces territoires, soit en organisant localement un recrutement sans concours de fonctionnaires de catégorie C, avec l’objectif de les faire progresser rapidement en compétences et dans la hiérarchie par le biais de la formation continue et de la promotion interne. »
Ces propositions constituent des pistes intéressantes. La situation déficitaire des DRFiP en matière d’effectifs mérite une investigation approfondie afin d’améliorer et de renforcer ces services de l’État. Tel est l’objet de l’amendement que je vous propose d’adopter.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
La question que vous abordez, madame Ali, est fondamentale pour les outre-mer, puisqu’elle concerne le retour de leurs forces vives, après s’être formées en métropole grâce à LADOM, pour occuper des postes à responsabilités dans leur territoire d’origine. Ces postes sont trop souvent occupés aujourd’hui par des personnes que j’appellerai « exogènes » – le fait est reconnu au plus haut niveau de l’État.
Il est vrai que l’État exprime sa volonté d’améliorer les choses en la matière, mais il doit pouvoir le faire concrètement et, si j’ose dire, loyalement. Par exemple, l’année dernière, monsieur le ministre, nous avons fait voter ici même un amendement sur les concours nationaux à affectation locale. Mais pour que la mesure soit mise en application, il faut un décret d’application qui n’est toujours pas paru. Ce n’est pas de votre responsabilité et cela a été signalé au ministre compétent, mais j’aimerais que ce décret paraisse le plus rapidement possible, afin de faciliter concrètement l’occupation des postes à forte valeur ajoutée par des ultramarins. Sur le plan symbolique, cela leur permettrait de se rendre compte qu’eux aussi peuvent occuper des postes importants, alors que ce n’est actuellement pas le cas.
Monsieur le ministre, le retour des forces vives est donc un sujet essentiel ; vous y êtes d’ailleurs très sensible. Pour que de tels postes soient occupés par des ultramarins dans le public mais aussi dans le privé, des dispositifs tels que le programme Cadres Avenir – qui a très bien fonctionné en Nouvelle-Calédonie – méritent d’être généralisés.
Si nous voulons faire revenir les forces vives de chacun des territoires d’outre-mer au plus haut niveau de la fonction publique et du secteur privé, il nous faut donc oser et être proactifs. Je donnerai un avis favorable à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Avis défavorable ou demande de retrait, car ce n’est pas un rapport qui permettra de changer les choses. Je vous demande pardon, monsieur le rapporteur spécial, mais je n’ai pas compris de la même manière que vous l’amendement de Mme Ramlata Ali. La demande de rapport qu’il formule soulève un problème d’attractivité qui est général et ne se cantonne pas aux ultramarins. Il ne s’agit pas tant de savoir s’il y a, au sein de la DRFiP de Mayotte, des Mahorais travaillant sur des postes de catégorie A ou A+. En effet, le problème tient plus largement au fait que parfois, il n’y a tout simplement personne pour occuper ces postes, ni « hexagonaux », si c’est bien ainsi que vous les avez qualifiés, ni Mahorais. Le problème est général, et Mme la députée en sait quelque chose ; je salue d’ailleurs son engagement en la matière.
C’est là le principal enjeu : nous devons disposer de bons serviteurs de l’État, donc de personnes susceptibles de rendre le service public, quelle que soit leur origine. Un rapport n’est pas nécessaire, car le ministère des comptes publics, au sein du ministère de l’économie, des finances et de la relance, est entièrement mobilisé sur ce sujet.
Un droit de priorité au retour a été créé pour la première fois – cette administration est la première à l’avoir fait. Lorsqu’un candidat à des fonctions de catégorie A ou A+ vient servir dans un territoire d’outre-mer, il s’inquiète souvent du sort qui lui sera réservé par son administration au moment où il voudra rentrer dans l’hexagone, pour des raisons qui peuvent être, par exemple, familiales, ou personnelles.
La direction générale des finances publiques s’est saisie de cette question et des propositions sont désormais faites aux personnes concernées. Il faudra évaluer les résultats de ces mesures et voir ce qui peut être fait pour d’autres métiers, car cela peut être encore plus délicat dans le domaine de la justice, où, en vertu de l’indépendance de l’autorité judiciaire, le déroulement des carrières n’est pas complètement lié aux décisions gouvernementales. La question devra faire l’objet d’un examen approfondi, corps par corps, direction par direction.
Quoi qu’il en soit, s’agissant du corps préfectoral, de l’administration de soutien des ministères de l’intérieur et des outre-mer et des directions régionales des finances publiques, les dispositifs existants commencent à porter leurs fruits. Nous devons continuer en ce sens ; l’éducation nationale, entre autres, y travaille.
Quant à l’accompagnement des compétences locales pour les amener à occuper des postes locaux, quelques administrations ont montré l’exemple. Je voudrais saluer ce qui a été fait par la direction générale de la police nationale, qui a permis, sur chaque territoire, de belles promotions républicaines et de vraies carrières. Le problème, et je le sais pour avoir examiné la question de près, c’est que les jeunes ayant accédé à des responsabilités importantes dans la fonction publique d’État ne souhaitent pas toujours rentrer dans leur territoire d’origine. C’est un problème transversal, qui n’est d’ailleurs pas propre à la fonction publique et auquel nous devons trouver des solutions.
(L’amendement no 2063 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 2185.
M. Jean-Hugues Ratenon
Par cet amendement, nous demandons un rapport sur les effectifs actuels et sur les besoins en matière de création d’emplois supplémentaires dans la fonction publique en outre-mer. En effet, la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer assure aux fonctionnaires originaires des outre-mer le bénéfice de points supplémentaires grâce à la prise en compte des CIMM – centres des intérêts matériels et moraux. Or de nombreux ultramarins, par manque de postes disponibles, sont forcés de quitter leur territoire ou ne peuvent y revenir.
Par exemple, à La Réunion, certaines communes de plus de 20 000 habitants, comme Le Tampon, qui en compte plus de 80 000, et Saint-Benoît, qui en a près de 40 000, ne disposent toujours pas d’un commissariat de police, alors que la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité l’impose.
Pourtant, plus que jamais, les besoins sont réels, puisque les effectifs publics apparaissent insuffisants pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales du covid-19. Y répondre serait créateur d’emplois.
Le rapport demandé vise donc à établir le coût de ces créations d’emplois pour les finances publiques. Un tel état des lieux permettrait d’instaurer des dispositifs susceptibles de donner la priorité aux mutations des ultramarins, afin d’assurer leur retour effectif au pays.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Je travaille régulièrement sur le retour des forces vives. C’est l’occasion pour moi de dire que l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, que ce soit dans le public ou dans le privé, dans les grandes directions de l’État ou dans les grandes entreprises, réside dans le manque de transparence concernant la disponibilité des postes. En effet, certains ultramarins talentueux, disséminés aux quatre coins du globe, ne sont parfois pas informés de l’ouverture d’un poste, du fait de pratiques d’opacité ou de favoritisme qui ont cours dans les grands ministères ; elles doivent être identifiées et faire l’objet d’un examen approfondi.
Nous demandons donc davantage de transparence. C’est aussi le cas dans le secteur privé : le ministère des outre-mer a financé des associations qui réalisent un travail extraordinaire, Alé Vini en Guadeloupe et Alé Viré en Martinique. Nous travaillons avec elles, et une vraie volonté d’innovation se fait jour au niveau national pour créer une plateforme de coopération, en incluant Pôle emploi. Nous avançons progressivement à ce sujet, et nous réussirons. Pour ma part, je suis favorable à toute tentative visant à identifier les difficultés et à faire œuvre de vérité.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Bénédicte Taurine.
Mme Bénédicte Taurine
Pour avoir été commissaire paritaire dans l’éducation nationale, je peux parler du mouvement des personnels vers les outre-mer. Au sein des commissions paritaires, nous examinions au cas par cas la situation de chaque collègue afin de voir ce qui était possible pour certains d’entre eux, notamment ceux qui avaient été séparés pendant de longues années et pouvaient bénéficier du rapprochement de conjoint. Il était alors possible de faire ouvrir certains postes pour régler des situations personnelles très complexes.
Le Gouvernement ayant supprimé ces commissions, nous n’avons plus accès aux données de nos collègues. Or, contrairement à ce qui a été dit, elles ne servaient pas à défendre uniquement les personnes syndiquées ; le syndicat majoritaire étudiait l’ensemble des dossiers, en toute transparence. Nous regrettons donc fermement la disparition des commissions paritaires.
(L’amendement no 2185 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour soutenir l’amendement no 2199.
Mme Bénédicte Taurine
Il vise à demander la remise d’un rapport sur la situation des réseaux d’eau dans les outre-mer. Il s’agirait d’évaluer les manquements en matière d’investissements passés, et d’établir le coût des investissements publics qui doivent être engagés pour rénover le réseau.
Le constat est accablant : la qualité du réseau d’eau dans les outre-mer est déplorable, et les habitants subissent des « tours d’eau » qui ont un impact insupportable sur leurs conditions de vie. La moitié de l’eau se perd en fuites dans le réseau.
L’accès à l’eau étant reconnu comme un droit fondamental universel, il est impensable que de telles inégalités d’accès et de qualité se perpétuent en France. C’est pourquoi nous demandons un rapport. Lors des questions au Gouvernement, vous aviez indiqué que la gestion de l’eau relevait des collectivités, mais il s’agit là d’un problème de santé publique ; nous considérons que le Gouvernement doit prendre ses responsabilités en la matière.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Dans votre exposé sommaire, madame la députée, vous évoquez la situation de la Guadeloupe.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis
Pas seulement !
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Vous avez raison de le faire, et je dois saluer, intuitu personae, le volontarisme et l’engagement de M. le ministre des outre-mer sur cette question, qu’il avait déjà prise à bras-le-corps avant même d’occuper ses fonctions actuelles ; son directeur de cabinet y est d’ailleurs très sensible lui aussi.
Le problème de l’eau est d’une gravité criante en Guadeloupe et, plus généralement, dans les outre-mer. Puisque vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il vaudrait mieux que les rapports soient réalisés par les parlementaires eux-mêmes, je saisis la balle au bond : je soumettrai bientôt à notre président de groupe une idée que j’ai d’ailleurs déjà évoquée auprès du président de l’Assemblée nationale. Il est en effet important que nous fassions toute la lumière sur les dysfonctionnements qui existent depuis plusieurs décennies en Guadeloupe et ailleurs, où ils ont des conséquences dramatiques pour les populations.
Je demande donc le retrait de votre amendement, madame la députée, car nous voulons aller plus loin en nous saisissant nous-mêmes du problème, en tant que parlementaires.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
M. le rapporteur spécial a raison : tout ce qui permettra de faire la lumière sur la situation de l’eau ira dans le bon sens. Lors des questions au Gouvernement, votre intervention m’avait piqué au vif ; je ne veux pas qu’on laisse croire que le Gouvernement – ou l’État, d’ailleurs – ne prend pas ses responsabilités. De nombreux parlementaires ici présents pourraient témoigner du fait que l’État abonde de plus d’une centaine de millions d’euros, compte tenu des 50 millions du plan de relance, non seulement sur des compétences qui ne sont plus les siennes – à la rigueur, cela peut se comprendre –, mais surtout en contrariant le grand principe selon lequel « l’eau paie l’eau » – les factures d’eau financent les investissements des collectivités. Si nous dérogeons ainsi à toute forme de droit commun, c’est bien, précisément, parce que nous prenons nos responsabilités, et parce que nous ne nous satisfaisons pas d’une situation qui est dramatique. Le covid-19, de ce point de vue, n’arrange pas les choses.
Lorsque j’étais secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, je me suis beaucoup investi sur la question de l’eau, avec une approche fondée sur mon expérience d’élu local. Il a fallu prendre des décisions courageuses et pas toujours populaires, comme la dissolution du SIAEAG – syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe –, que j’ai décidée par décret. Je ne veux pas que l’on fasse le procès des élus locaux, car il serait trop facile d’aller chercher partout des responsables. Sur cette question de l’eau, nous avons un devoir d’unité.
Le problème est d’ailleurs plus large : des tours d’eau sont également organisés à Mayotte, pour d’autres raisons qu’en Guadeloupe, en particulier l’accroissement démographique et la difficulté d’accès à la ressource en tant que telle, compte tenu de la situation des retenues collinaires. Il faut éviter de faire des amalgames entre les différents territoires, car ils sont soumis à des réalités diverses et complexes.
En Guadeloupe, la difficulté ne tient pas à la production de l’eau potable – on en produit suffisamment – mais à son acheminement et à sa distribution ; elle est liée à des problèmes de fuites, de pression mais aussi d’équilibre du réseau sur l’ensemble de l’archipel. C’est une question de solidarité : dans un environnement insulaire, et tout particulièrement sur les questions d’eau, les différentes autorités de gestion ont le devoir de se montrer solidaires.
Je réunirai vendredi, en visioconférence, plusieurs élus locaux des différentes communautés d’agglomération concernées, et je vous prie vraiment de croire que nous prenons nos responsabilités en la matière. Dans ce domaine, en effet, un cercle vicieux risque de s’installer – quand l’eau ne coule plus du robinet, on est évidemment incité à ne pas payer sa facture – et nous devons réussir à rompre ce cercle. C’est un dossier très délicat qui doit nous rassembler ; sur place – je m’adresse notamment aux députés de Guadeloupe –, personne ne comprendrait que l’on fasse de la politique sur une question si sensible, et nous devons désormais nous efforcer de trouver des solutions.
Les élections municipales sont derrière nous ; des élections régionales et départementales sont certes à l’horizon, mais il faut faire en sorte que le débat politique ne crée pas de difficultés. L’ingénierie nécessaire est sur la table, et l’argent le sera ; nous avons renforcé la DEAL – direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement – de Guadeloupe il y a deux ans pour qu’elle puisse prendre en charge la question. C’est désormais l’exécution qui doit primer.
Je demande le retrait s’agissant du rapport en tant que tel, mais si l’Assemblée nationale souhaite se saisir du sujet pour comprendre ce qui s’est passé, évaluer ce qui est fait et examiner dans le détail la situation, cela fait partie de ses prérogatives et le Gouvernement sera évidemment à sa disposition. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Bénédicte Taurine.
Mme Bénédicte Taurine
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, et nous prenons acte de votre position. Nous retirons donc notre amendement.
(L’amendement no 2199 est retiré.)
M. le président
L’amendement no 1899 de Mme Justine Benin est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Avis de sagesse.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Défavorable ; c’est plutôt le travail du CFL – comité des finances locales – que de produire un tel rapport.
(L’amendement no 1899 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 573.
M. Jean-Hugues Ratenon
Il s’agit aussi d’une demande de rapport.
Les grands projets inutiles n’ont pas manqué dans l’Hexagone : aéroport de Notre-Dame-des-Landes, autoroute A45, ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin, extension de la piste de Roissy, projet d’incinérateur à Ivry-sur-Seine, projet de stockage des déchets radioactifs à Bure. De même, les collectivités d’outre-mer n’ont pas été épargnées par la rapacité de grandes entreprises ou de promoteurs qui ont induit les décideurs publics en erreur, dévoyant – volontairement ou non – l’intérêt général au profit d’intérêts bassement particuliers. Nous pensons notamment à toutes les controverses autour de la nouvelle route du littoral à La Réunion, ou la mégamine d’or nommée Espérance en Guyane.
Le rapport demandé permettrait de faire un point global sur ces grands projets inutiles qui mettent en danger les services publics pour des profits privés et constituent souvent des atteintes graves et injustifiées aux écosystèmes.
Ce recensement exhaustif et l’évaluation détaillée de chaque projet donneront une information claire au Parlement et aux collectivités territoriales concernées, leur permettant, le cas échéant, de réviser leurs décisions initiales sur des fondements plus clairs et objectifs.
Pour ce qui concerne la nouvelle route du littoral, il aurait fallu trouver une autre solution au moment où le projet a été initié, mais, à présent, nous savons tous qu’il faut la terminer, dans l’intérêt général.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Vous avez raison : nous devons parfois nous poser des questions sur les grandes infrastructures en outre-mer. La route du littoral de La Réunion mériterait à elle seule un petit éclairage, n’est-ce pas ? Elle a coûté à peu près 1 milliard d’euros, et je crois qu’elle n’est pas terminée. Il y a matière à s’y intéresser.
À titre personnel, j’émets un avis de sagesse à cet amendement.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
J’ai entendu vos propos en creux, monsieur le député Ratenon. Si j’ai bien compris, vous voulez un rapport sur les grands projets dont l’État n’est pas forcément maître d’ouvrage. (Sourires.)
C’est compliqué pour moi d’émettre un avis favorable à un rapport commis par les services de l’État pour se prononcer sur l’opportunité de projets qui seraient conduits par des conseils régionaux, des conseils départementaux, des intercommunalités ou des communes.
Vous demandez que ce rapport – sur des projets dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par des collectivités territoriales – soit remis dans un délai de huit mois. Je crois y voir des affaires de politique locale qui me dépassent complètement, monsieur le député. (Sourires.)
C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement, sinon j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
L’amendement est-il retiré, monsieur Ratenon ?
M. Jean-Hugues Ratenon
J’aurais pu le retirer mais, compte tenu des propos du ministre, je le maintiens.
M. Sébastien Lecornu, ministre
Ce n’était pas méchant !
(L’amendement no 573 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Ramlati Ali, pour soutenir l’amendement no 2062.
Mme Ramlati Ali
C’est une dernière demande de rapport, monsieur le ministre, même si j’ai entendu qu’il revenait aux députés de faire les rapports.
Le document de politique transversale en direction des outre-mer se fixe pour objectif, dans son axe 2, d’« offrir une véritable égalité des chances à la jeunesse outre-mer. » Cet objectif se fonde sur une réalité implacable, celle de l’importance numérique de la jeunesse outre-mer.
Pour l’atteindre, plusieurs dispositifs sont mis en place : la formation des stagiaires du service militaire adapte – SMA – ; le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle et le programme « cadres d’avenir de Mayotte ».
Ce dernier programme ayant beaucoup de succès, il faut le dire, une première évaluation de ce dispositif me semble nécessaire.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Serva, rapporteur spécial
Mme la députée Ali a tout dit : ce dispositif est sûrement efficace – il a fait la démonstration de son efficacité en Nouvelle-Calédonie avant d’être en train de la faire à Mayotte.
Je pense qu’il faut mettre en lumière les dispositifs qui fonctionnent, mais aussi – et surtout – les généraliser dans tous les départements et territoires d’outre-mer. Nous avons essayé celui-là avec succès en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte : il fait rentrer des cadres ultramarins outre-mer. Alors, généralisons-le. À titre personnel, j’émets donc un avis favorable à cet amendement.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre
Nous sommes évidemment favorables à ce dispositif : c’est nous qui l’avons déployé et nous continuons à le faire. Il est néanmoins trop tôt pour faire un rapport car les cohortes de 2018 ne sont pas encore complètement sorties du dispositif. Il me paraît prématuré et difficile de commencer à évaluer une action dont les bases sont encore en construction.
C’est pourquoi je vous suggère de retirer votre amendement, quitte à ce que nous nous reposions la question l’année prochaine.
M. le président
Madame Ali, retirez-vous votre amendement ?
Mme Ramlati Ali
Oui, en attendant l’année prochaine !
(L’amendement no 2062 est retiré.)
M. le président
Mes chers collègues, nous avons terminé l’examen de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures quinze.)
M. le président
La séance est reprise.
Immigration, asile et intégration
M. le président
Nous abordons l’examen des crédits relatifs à l’immigration, à l’asile et à l’intégration (no 3399, annexe 28 ; no 3403, tome VII ; no 3404, tome II).
La parole est à M. Jean-Noël Barrot, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. (Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis de la commission des lois, applaudit.)
M. Thibault Bazin
Nous applaudirons plus fort pour Pierre-Henri Dumont !
M. Jean-Noël Barrot, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », dont j’assure l’examen avec Stella Dupont – laquelle est absente ce matin en raison de la modification de l’agenda parlementaire.
Dans le projet de loi de finances pour 2021, les crédits de la mission s’établissent à 1,8 milliard d’euros en autorisations d’engagement – AE – et à 1,9 milliard d’euros en crédits de paiement – CP. Par rapport à 2020, ces montants baissent de 8 % pour les AE et progressent de 2 % pour les CP. Ces crédits s’inscrivent dans un contexte profondément modifié par la pandémie et se caractérisent à la fois par des éléments de changement et par des éléments de continuité.
La modification du contexte migratoire est nette et résulte directement de la situation sanitaire. En 2020, pour la première fois depuis 2015, le nombre de demandes d’asile introduites en France baissera, en raison notamment des restrictions de déplacement observées depuis plusieurs mois. D’ici à la fin de l’année, 100 000 demandes d’asile devraient être introduites à l’OFPRA – l’Office français de protection des réfugiés et apatrides –, contre un peu plus de 130 000 en 2019. En 2021, 130 000 nouvelles demandes sont attendues – autant qu’en 2019. Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » tiennent compte de ce nouveau contexte migratoire et présentent des éléments de continuité et de changement.
Pour ce qui est de la politique de l’asile, la continuité se traduit par la permanence des moyens élevés accordés à l’OFPRA : pour la deuxième année consécutive, son budget sera supérieur à 90 millions d’euros, alors qu’il n’était que de 65 millions d’euros en 2017. Les recrutements effectués par l’OFPRA devraient permettre à cet établissement de rendre 170 000 décisions en 2021, contre 115 000 en 2018, ce qui favorisera une réduction sensible du délai de traitement des demandes d’asile.
En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, la continuité se traduit par la poursuite de la hausse des moyens. Les investissements dans la rénovation et l’extension des centres de rétention administrative – CRA – sont confirmés et 1 500 places seront créées par la mission « Plan de relance » dans les centres de préparation au retour. La multiplication attendue des éloignements aidés constitue à mes yeux un point de satisfaction, puisqu’elle prend en considération certaines des recommandations qu’Alexandre Holroyd et moi-même avions formulées il y a un an.
La politique de l’asile connaît cependant deux évolutions importantes. La première tient à la création de 4 500 places supplémentaires d’hébergement, dont 500 au titre de la mission « Plan de relance ». Un an après avoir mis l’accent sur les recrutements en faveur de l’OFPRA, le projet de loi de finances fait ainsi porter l’effort sur l’accroissement des capacités d’hébergement.
La deuxième évolution importante tient au niveau des crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile. Je veux insister sur ce point. Durant le printemps de l’évaluation, Stella Dupont et moi-même avons livré une analyse sans concession des erreurs de prévision budgétaire observées systématiquement ces dernières années. Lors de la préparation de notre rapport, nous avons longuement, et à plusieurs reprises, interrogé le ministère de l’intérieur sur ses hypothèses de construction du budget. Au terme de ces échanges, nous considérons que les hypothèses figurant dans le projet de loi de finances sont crédibles. La dépense prévue au titre de l’allocation pour demandeurs d’asile nous semble optimiste, mais plausible. Nous n’en resterons pas moins vigilants pendant les années à venir. À cet égard, nous nous félicitons que le ministère de l’intérieur ait tenu compte des précédentes observations de la commission des finances.
La mission « Immigration, asile et intégration » ne se limite pas au droit d’asile et à la lutte contre l’immigration irrégulière : elle comprend également des crédits dédiés à l’intégration. Pour ce qui est des moyens consacrés à ce volet, la continuité l’emporte et le très important effort financier accompli depuis 2017 se confirme. En 2021, les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », s’établiront ainsi 433 millions d’euros alors qu’ils se limitaient à 180 millions d’euros en 2017. Cette continuité doit cependant s’accompagner d’une amélioration dans la consommation des crédits ouverts, car, s’agissant du programme 104, l’enjeu budgétaire réside autant dans l’exécution des crédits que dans leur ouverture.
En matière d’intégration, Stella Dupont et moi-même appelons également de nos vœux différentes adaptations destinées à améliorer l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés. Nous avons présenté récemment un rapport sur ce sujet et nous espérons que le Gouvernement retiendra certaines des propositions que nous avons formulées, notamment concernant les formations linguistiques du contrat d’intégration républicaine.
Je conclurai en soulignant que le budget proposé est tout à fait satisfaisant même si, au strict plan budgétaire, le recours à la mission « Plan de relance » pour financer certaines dépenses nous laisse dubitatifs. Je remercie Laurent Delrieu pour son travail et je félicite les rapporteurs pour avis pour la qualité de leurs rapports.
Stella Dupont et moi-même vous appelons donc à confirmer l’adoption des crédits décidée en commission des finances et à voter en faveur des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». (Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis, applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. (MM. Thibault Bazin et Fabien Di Filippo applaudissent.)
M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Jamais la France n’a accueilli autant d’étrangers : au chiffre historique des 280 000 premiers titres de séjour délivrés l’année dernière, il faut ajouter les 150 000 demandeurs d’asile enregistrés – un record, là aussi.
M. Thibault Bazin
C’est vrai !
M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis
Plus de 400 000 étrangers sont ainsi légalement arrivés dans notre pays en 2019 ; 3,5 millions y vivent. Nous étions donc en droit d’attendre un budget « Immigration, asile et intégration » ambitieux dans le projet de loi de finances pour 2021, mais ce n’est pas le cas : pour la première fois depuis cinq ans, les crédits de cette mission diminuent de 8,82 % en autorisations d’engagement et la légère hausse de 2 % des crédits de paiement ne repose quant à elle que sur une augmentation mécanique des sommes dévolues à l’asile. La réalité est simple : ce budget n’est pas à la hauteur de la situation migratoire en France. En effet, alors qu’un budget doit être l’instrument de l’exécution d’une politique, ce gouvernement n’a toujours pas répondu clairement à la question de savoir s’il veut plus ou moins d’immigration en France. Refusant de répondre à cette simple question, il fait subir au pays la loi des trafiquants d’êtres humains, qui deviennent les réels décideurs de notre politique migratoire.
Il existe pourtant des moyens pour une reprise en main. Le premier d’entre eux ne se chiffre pas, mais se mesure : il s’agit du courage politique – or vous en manquez. Notre système d’asile, qui fait l’honneur de la France, devient désormais hors de contrôle et donc inefficace. La demande d’asile dans notre pays a doublé en cinq ans et nous enregistrons 20 % des demandes d’asile européennes. En un an, les demandes d’asile ont augmenté de près de 10 % en France alors qu’elles diminuent partout ailleurs : 30 % de nos demandeurs ont déjà été déboutés ailleurs en Europe. Plus de 10 % proviennent d’Albanie ou de Géorgie, pays dont vous avez autorisé les ressortissants à venir en France sans visa. La conséquence est directe : malgré les renforts alloués à l’OFPRA pour traiter ces demandes, le système est embolisé. Alors que l’objectif était de traiter les demandes d’asile en deux mois, il en faut désormais neuf pour statuer – durée à laquelle il faut ajouter les sept mois d’appel auprès de la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile. Seize mois pour finalement débouter les demandeurs, c’est inacceptable !
C’est inacceptable car cela prive les vrais demandeurs d’asile de la protection effective de la France. Inacceptable, car cela fait peser sur les finances publiques une charge supplémentaire. Inacceptable, car 10 % des places ouvertes dans nos dispositifs d’accueil sont occupées par des personnes qui n’ont rien à y faire, obligeant d’autres demandeurs à dormir dans des camps. Inacceptable, enfin, car cela ne permet pas d’expulser celui qui n’est pas protégé. La réalité de notre système d’asile, c’est que le demandeur n’a pas le choix entre la protection et l’expulsion, mais entre être protégé et devenir clandestin en France, renforçant ainsi la cohorte du demi-million – au bas mot – de ceux qui vivent déjà dans notre pays. En 2021, les montants versés au titre de l’aide médicale d’État franchiront la barre symbolique du milliard d’euros, bénéficiant à près de 40 % d’étrangers en situation irrégulière de plus qu’en 2012.
M. Thibault Bazin
Quel gâchis !
M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis
Pour bien intégrer les étrangers en situation régulière présents en France, nous devons mieux expulser ceux qui n’ont rien à y faire. Malheureusement, vous faites le choix délibéré de ne pas expulser les clandestins : en 2019, sur les 151 000 mesures d’éloignement prononcées, seules 23 000 ont réellement été exécutées. Vous en êtes réduits à renoncer à demander aux pays d’origine les laissez-passer consulaires nécessaires à la reconduite aux frontières, car vous savez pertinemment que, faute d’actes forts dans la politique des visas et de modulation de l’aide au développement versée à ces pays, vous ne les obtiendrez pas. Seuls 8 365 laissez-passer consulaires ont ainsi été demandés en 2019. Pire encore : même quand vous obtenez l’accord des pays pour y renvoyer les étrangers, vous ne le faites pas : sur les 30 000 requêtes effectuées au titre du règlement de Dublin qui ont reçu une réponse positive en 2019, vous n’en avez exécuté que 5 600.
Cette absence de volontarisme politique transpire dans votre budget, puisque la faible augmentation des crédits alloués aux retours des clandestins dans leur pays est intégralement destinée aux retours vers les Balkans, oubliant sciemment les retours vers l’Asie ou l’Afrique. Année après année, vous ouvrez des places en centres de rétention administrative –, ce que nous saluons, puisqu’il s’agit là de la solution la plus efficace pour renvoyer un étranger en situation irrégulière dans son pays – mais vous ne donnez pas pour consigne de remplir ces places : 40 % d’entre elles sont à ce jour inoccupées, comme c’est par exemple le cas dans le CRA de Coquelles.
Vous le savez, madame la ministre déléguée, la situation à Calais est grave : des hommes, des femmes et des enfants meurent noyés dans la Manche. Les efforts déployés par les forces de l’ordre pour éviter ces drames sont immenses : 450 traversées ou tentatives de traversées ont été empêchées depuis le 1er janvier. Vous devez redire aux Britanniques d’assumer leur responsabilité, qui n’est pas uniquement financière. Exigez d’eux qu’ils examinent les demandes d’asile sur le continent, au moment où la sortie du Royaume-Uni du système instauré par le règlement de Dublin augmentera les flux à destination de Londres et fera donc peser, une fois de plus, une lourde charge sur les épaules des habitants et entreprises du Calaisis. Vous devez aussi donner plus de moyens aux forces de l’ordre de mon territoire, afin d’interdire effectivement ces traversées dangereuses, quitte à y adjoindre le concours de l’armée, comme c’est le cas en Guyane, avec l’opération Harpie. Je vous propose enfin de créer un commandement unique des opérations de sauvetage et de prévention des traversées, sur terre comme sur mer, mettant sous une même autorité préfectures, préfectures maritimes, forces de l’ordre et services de secours.
Vous l’aurez compris, chers collègues, je désapprouve les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », qui ne sont pas – loin de là – à la hauteur de la situation. Tel n’a cependant pas été le choix de la commission des affaires étrangères, qui donne quant à elle un avis favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Fabien Di Filippo
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Dans le contexte particulièrement préoccupant de l’épidémie de la covid-19, j’ai choisi de m’intéresser cette année à la question de la santé des personnes retenues au sein des centres de rétention administrative. Pendant le premier confinement, dix des vingt et un CRA ont poursuivi leur activité dans le cadre d’un protocole sanitaire strict et avec l’autorisation du Conseil d’État, saisi deux fois en référé à ce sujet. Après le déconfinement, l’ensemble des CRA ont repris leur activité, mais à un rythme beaucoup plus réduit par rapport à l’année dernière. À ma connaissance, depuis le début de la crise épidémique, vingt-deux personnes retenues ont été testés positives à la covid-19. Peut-être avez-vous, madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, de nouvelles informations à nous communiquer sur ce point. Et quelles sont les mesures mises en place depuis le nouveau confinement ? J’aimerais également savoir pourquoi les CRA, dans le contexte épidémique actuel, sont occupés à 40 %, taux mentionné par mon collègue. Bien évidemment, si ce contexte a un impact certain sur la question de la santé en rétention, il a surtout un effet loupe en ce qu’il aggrave les difficultés récurrentes qui font obstacle à une prise en charge sanitaire pleinement satisfaisante des personnes retenues au sein des CRA.
D’un point de vue strictement budgétaire, l’évolution des crédits est à la hausse : le renforcement de la politique du Gouvernement en matière d’éloignement s’est en effet accompagné d’une augmentation des crédits consacrés à la prise en charge sanitaire, qui atteignent 10,6 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. L’enjeu sanitaire ne saurait cependant être analysé sous le seul prisme budgétaire. Qu’il s’agisse des alertes émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, par le Défenseur des droits ou par les associations intervenant en centre de rétention, toutes montrent que les griefs formulés envers les modalités de prise en charge des personnes malades dans les CRA sont nombreux et récurrents. Au cours de mes travaux, j’ai découvert que l’organisation de leurs unités médicales, les UMCRA, était fondée sur une circulaire de 1999, plus du tout adaptée à la situation actuelle de la rétention. De plus, on y observe une forte disparité financière qui peut aller du simple au quadruple, et une prise en charge sanitaire insuffisamment harmonisée. Un groupe de travail sur la question existe… depuis plus de dix ans. La circulaire de 1999 a finalement été abrogée en 2017, mais elle sert toujours de référence, puisque le texte appelé à la remplacer n’a toujours pas été publié. Lors de l’examen en commission des lois des crédits de la mission, le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé à ce que cette publication intervienne au début de l’année 2021, ce dont je me félicite.
J’explique dans mon rapport pour avis qu’en l’absence d’étude épidémiologique menée en CRA, le seul indicateur permettant d’identifier les principales pathologies se trouve dans l’analyse des demandes, pour raisons médicales, de protection contre l’éloignement formulées par les personnes retenues : en 2019, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a été saisi de demandes principalement fondées sur des troubles mentaux et du comportement, ainsi que sur des maladies infectieuses ou parasitaires. Je souhaite en effet vous alerter, madame la ministre, sur l’état de santé mental des personnes retenues car il est devenu un vif sujet de préoccupation, surtout dans un contexte d’allongement de la durée de rétention et de l’augmentation du taux moyen d’occupation des centres.
Tensions, automutilations et violences sont de plus en plus pesantes et, bien sûr, préjudiciables aux personnes retenues comme aux prestataires présents sur place et aux fonctionnaires de police. Depuis 2020, des psychologues ont été déployés dans les CRA, à l’initiative de cette majorité et des rapporteurs spéciaux concernés, que je salue pour cela, mais je dois vous alerter sur le fait que ce déploiement reste modeste et non uniforme et que, surtout, il ne permet pas une prise en charge médicale et donc psychiatrique des personnes alors que leurs troubles mentaux sont parfois très importants. Il est donc nécessaire que des conventions soient signées entre les UMCRA et les établissements de santé mentale afin que soient organisées dans les CRA leur prise en charge et leur suivi psychiatriques.
Le constat que je viens de dresser n’est pas récent : il y a vingt ans exactement, Louis Mermaz, alors député, présentait les centres de rétention administrative comme des lieux aux frontières de l’humanité. Les conclusions à en tirer sont plus urgentes que jamais étant donné bien évidemment le contexte de la crise épidémique et le fait que le Gouvernement ait réaffirmé sa volonté d’exécuter les obligations de quitter le territoire français, ou OQTF. Si on comprend bien la nécessité d’appliquer ces dernières, encore faut-il que les conditions de rétention soient à la hauteur de notre État de droit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président
Nous allons maintenant entendre les porte-parole des groupes politiques.
La parole est à M. Pacôme Rupin.
M. Pacôme Rupin
Nous examinons ce projet de loi de finances pour 2021 dans un contexte très difficile : celui de crises multiples et dramatiques, notamment sanitaire et économique, et celui d’un niveau de menaces terroristes très élevé comme nous l’ont tragiquement rappelé les derniers attentats. Cela ne doit toutefois pas nous détourner de l’objectif du vote de ce projet de loi de finances : la continuité de l’État et la poursuite de ses missions partout sur le territoire, missions encore plus indispensables dans un tel contexte. L’État doit en effet disposer des moyens de les poursuivre de manière sereine et déterminée, et les crédits proposés pour la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » contribuent à répondre de manière appropriée et responsable à cet objectif.
Ces dernières années, le Gouvernement a agi dans la recherche d’un juste équilibre entre, d’une part, les valeurs qui font l’honneur de notre pays, celles de la protection et de l’accueil avec dignité et humanité des personnes en danger dans leur pays d’origine, et, d’autre part, un principe de fermeté dont l’application doit permettre de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière et de reconduire dans leur pays les personnes qui n’ont pas leur place sur notre territoire. C’est le fameux « en même temps » que notre groupe LaREM prône sur ce sujet depuis la loi Asile et immigration. En ces temps troublés, propices à la montée de sentiments de colère ou de méfiance vis-à-vis de l’autre, il est d’autant plus nécessaire de conduire une politique équilibrée sur ces questions ; il faut à la fois rassurer nos concitoyens et agir fermement et efficacement tout en restant fermes sur nos principes humanistes.
Ainsi, je relève tout d’abord l’effort budgétaire proposé à la nation pour mieux accueillir les demandeurs d’asile : je tiens en particulier à insister sur la hausse significative du budget alloué à l’aide aux demandeurs d’asile et sur les mesures prises pour réduire les délais de traitement de leurs dossiers – un défi depuis plus de cinq ans. Cela passera notamment par une hausse des moyens de l’OFPRA et par la pérennisation en 2021 de la hausse de son plafond d’emplois – plus 200 équivalents temps plein – accordée pour 2020. Par ailleurs, mieux accueillir les demandeurs d’asile sera également possible grâce à la création de 3 000 places supplémentaires dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile – les CADA – et de 1 500 places supplémentaires dans les centres d’accueil et d’examen des situations – les CAES. Je rappelle en outre que l’État a investi massivement, depuis 2017, dans l’hébergement, notamment dans l’hébergement d’urgence, permettant ainsi de proposer un toit à de nombreuses personnes étrangères, quelle que soit leur situation administrative. Ce budget accentue encore cette tendance puisque l’hébergement d’urgence va bénéficier de 126 millions d’euros de crédits supplémentaires.
Enfin, parallèlement à cette tradition d’accueil, ce budget permet, de manière juste, de poursuivre la lutte nécessaire contre l’immigration irrégulière, lutte qui est le corollaire indispensable à un bon accueil sur notre territoire des personnes qui en ont réellement besoin. La forte hausse des crédits alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière, soit près de 16 % en autorisations d’engagement par rapport au budget pour 2020, témoigne d’une volonté encore renforcée d’accentuer l’action de l’État en la matière. De même, les investissements importants prévus pour la création, la rénovation ou l’extension de centres de rétention administrative, et l’incitation faite aux préfets d’en autoriser de nouveaux, illustrent la volonté d’intensifier notre lutte contre l’immigration irrégulière.
Pour l’ensemble de ces raisons, pour le juste équilibre qu’illustre de manière cohérente ce budget entre nos valeurs d’accueil et la lutte contre l’immigration irrégulière, le groupe La République en marche votera donc les crédits de cette mission. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à M. Fabien Di Filippo.
M. Thibault Bazin
Applaudissements nourris sur les bancs du groupe LR, ce sera marqué au compte rendu ! (Sourires.)
M. Fabien Di Filippo
La France se mérite-t-elle encore un tant soit peu en 2020 ou est-elle désormais condamnée à s’offrir au premier venu qui viole ses droits et aurait des droits sur elle ?
Il n’y a jamais eu autant de tensions, autant d’actions violentes, autant d’actes terroristes dans notre pays. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les immenses problèmes d’intégration auxquels il est confronté, sur la saturation de ses capacités d’accueil et d’intégration – qui a des conséquences dont nous vous avertissons depuis trois ans maintenant – et sur le fait que cette pression migratoire nourrit de plus en plus le communautarisme qui fracture notre société.
M. Thibault Bazin
Il a raison !
M. Fabien Di Filippo
Et pourtant, 275 000 titres de séjour ont été délivrés en 2019, un record absolu. Plus de 150 000 personnes ont demandé l’asile l’an dernier alors que l’on sait que l’immense majorité d’entre elles en sont légitimement déboutées et que 96 % de ces dernières restent, malgré tout, illégalement sur notre sol. En 2019, près de 125 000 interpellations d’étrangers en situation irrégulière ont été réalisées, le chiffre le plus élevé des cinq dernières années. Malheureusement, les expulsions peinent à suivre et, de ce fait, 30 000 immigrés illégaux finissent par être régularisés tous les ans alors qu’ils ont violé nos frontières et s’assoient sur nos lois.
M. Thibault Bazin
C’est scandaleux !
M. Fabien Di Filippo
Si cette mission bénéficie de 36,8 millions d’euros de plus en crédits de paiement par rapport à 2020, cela ne représente qu’une augmentation de l’ordre de l’inflation et les moyens supplémentaires sont essentiellement alloués à la création de places d’hébergement pour demandeurs d’asile ! En effet, 90 % des crédits du programme vont à la garantie du droit d’asile et moins de 10 % sont consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière. Dans le contexte économique, sanitaire, social et sécuritaire actuel, la lutte contre la clandestinité devrait pourtant bien être la priorité.
M. Thibault Bazin
C’est vrai.
M. Fabien Di Filippo
L’accueil massif de personnes que nous ne sommes pas en capacité d’intégrer est un drame de misère qui nous met en danger. Il est plus que temps de mettre notre budget au diapason des actions nécessaires. L’écho des derniers attentats est criant à cet égard : la stratégie migratoire du Gouvernement, madame la ministre, chers collègues de la majorité, où l’humanité évoquée par le précédent orateur confine à la naïveté et où la fermeté se cantonne malheureusement aux discours : un terroriste pakistanais entré illégalement en France en ayant menti sur son âge ; un terroriste tchétchène, symbole à lui seul du dévoiement du droit d’asile, refusé par une décision administrative cassée ensuite par la Cour nationale du droit d’asile ; un terroriste tunisien entré clandestinement il y a moins d’un mois sur notre sol, après avoir été sauvé par les secours italiens. Ces constats abominables appellent des réactions immédiates.
Fixons chaque année un plafond d’immigration légal adapté à nos capacités d’intégration et voté par le Parlement.
Expulsons les clandestins étrangers condamnés à de la prison ferme. Ils représentant aujourd’hui près d’un quart des détenus dans les prisons françaises.
Expulsons, non pas quatorze, mais les milliers d’étrangers inscrits au fichier de la radicalisation à visée terroriste.
Imposons des examens osseux aux mineurs non accompagnés et considérons majeurs ceux qui refusent de s’y soumettre.
Étendons la rétention de sûreté aux auteurs de crimes ou délits terroristes alors que plusieurs centaines des individus concernés vont être libérés d’ici à 2022.
Interdisons le retour des djihadistes français sur le sol national et appliquons-leur systématiquement la déchéance de nationalité.
Notre groupe Les Républicains prône aussi un moratoire de cinq ans sur l’immigration de manière à pouvoir bien intégrer les personnes déjà présentes sur notre sol et souhaite que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – le CESEDA – évolue progressivement vers un système d’immigration choisie.
M. Thibault Bazin
Voilà le programme qu’il faut au pays !
M. Fabien Di Filippo
Vous devez, madame la ministre, vous et votre gouvernement, assurer l’efficacité des transferts des demandeurs d’asile dans le cadre du règlement de Dublin. Or, l’année dernière, 30 000 des 50 000 requêtes ont été acceptées, mais moins de 6 000 migrants renvoyés.
Il faut aussi conditionner l’aide publique au développement à l’accord systématique par les pays récipiendaires du retour de leurs ressortissants.
M. Thibault Bazin
Il a raison !
M. Fabien Di Filippo
Enfin, il faut mettre un terme à l’appel d’air que représente l’immigration de confort social. Deux leviers sont notamment à utiliser : le premier, c’est l’AME, l’aide médicale d’État, dont le montant dépasse désormais le milliard d’euros et qui prend en charge quasiment tous les soins pour les clandestins, étant de ce fait à l’origine d’un tourisme médical et de profondes iniquités dans nos hôpitaux ; le second, ce sont les prestations sociales, dont le versement devrait être conditionné à une présence régulière en France pendant un minimum de trois ans et aussi au versement régulier de cotisations à la sécurité sociale.
Ces mesures sont plus que nécessaires et, dans la lutte contre le séparatisme, elles auront des conséquences bien plus importantes que les annonces d’Emmanuel Macron, qui prône l’enseignement précoce de l’arabe alors que certaines familles souffrent pour leur intégration – les parents eux-mêmes ne maîtrisant pas ou ne parlant pas le français –, ou l’interdiction totale de l’enseignement à domicile, car nous sommes incapables de contrôler les déscolarisations de fondement islamiste.
Vous l’aurez compris, Les Républicains voteront contre ces crédits. Mais avant cela, nous essayerons de les modifier profondément en proposant divers amendements, car l’heure est grave : non seulement il faut stopper la dérive mortifère qui détruit la communauté nationale, mais en plus il faut montrer à la nouvelle génération et à ceux qui aspirent sincèrement à nous rejoindre et à partager nos valeurs que le chemin de la réussite est dans le travail, la foi dans le modèle républicain, et l’amour d’un pays qui a tant de choses à offrir quand on le respecte et qu’on le mérite. C’est la France qui a des droits sur nous, et pas l’inverse.
M. Thibault Bazin
Excellent !
M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis
Bravo ! Un discours mesuré !
M. le président
La parole est à Mme Isabelle Florennes.
Mme Isabelle Florennes
Le contexte dans lequel nous examinons les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » est particulier à plus d’un titre. Tout d’abord en raison de la crise sanitaire, mais aussi au regard des terribles attentats terroristes qui ont frappé notre pays et nos voisins, et qui doivent nécessairement nous amener à réinterroger notre politique migratoire. Ensuite, parce qu’un débat sur les séparatismes a été engagé, qui nous pousse à revoir notre politique d’intégration. Enfin, parce qu’au niveau européen, les choses évoluent – dans le bon sens, je l’espère – avec la refonte de la politique migratoire de l’Union amorcée par Ursula von der Leyen.
Un contexte particulier, donc, qui m’amène au point suivant : si je ne peux que saluer la hausse du budget alloué à cette mission, et plus particulièrement, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la création de 4 000 nouvelles places d’hébergement, je ne vois pas de ligne politique se dessiner clairement derrière ces crédits.
Selon nous, trois points font défaut.
Tout d’abord, à l’aune de la crise que nous vivons, la problématique de la gestion sanitaire des CRA, sur lesquels je partage le constat de la rapporteure pour avis, et les nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge des personnes placées en rétention interrogent. Comme elle, j’espère que la circulaire du 7 décembre 1999 relative au dispositif sanitaire mis en place dans les centres de rétention administrative qui, faute de nouveaux textes et en dépit de son abrogation, reste le point de référence, sera remplacée très prochainement. Si vous le pouvez, madame la ministre, donnez-nous une date.
Un mot des ressources humaines de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – et de l’OFPRA . Celles de l’OFII souffrent d’un fort turn-over – c’est un phénomène bien connu –, mais doivent pourtant assurer de nombreuses missions. Je m’étonne donc qu’il n’y ait, pour citer les mots de notre rapporteure, aucune revalorisation du plafond d’emplois cette année : c’est, une fois encore, une occasion manquée de pallier ce problème, ce qui est d’autant plus regrettable que l’OFPRA, qui voit sa subvention augmenter de 1,3 % par rapport à 2020, connaît donc une dynamique inverse. Une fois de plus, l’OFII est le parent pauvre de notre politique d’immigration et d’intégration, et cela nous interroge : quelles orientations donnons-nous à cette politique si nous ne pourvoyons pas aux besoins de son principal acteur ?
Enfin, je voudrais conclure mon propos en rappelant les recommandations et les propositions issues de l’excellent rapport produit par nos collègues Jean-Noël Barrot et Stella Dupont. Il faut d’abord et avant tout que nous renforcions considérablement l’apprentissage de la langue française : c’est, de tout point de vue, un élément clé de l’intégration des personnes qui souhaitent s’installer dans notre pays. Or les crédits présentés aujourd’hui nous semblent insuffisants pour atteindre cet objectif. Nous devons également progresser en termes d’accès au travail. Nos collègues proposent la création de postes de conseillers spécifiquement dédiés au suivi du parcours des réfugiés au sein de Pôle emploi : là encore, je souscris pleinement à leur proposition.
Le groupe MoDem et démocrates apparentés se félicite donc de la hausse des crédits de la mission, mais ne peut s’en satisfaire pleinement : ces crédits manquent de relief et ne soutiennent pas les leviers d’intégration que sont l’accueil des étrangers, la formation linguistique et l’accès à l’emploi. Si nous le regrettons, nous soutiendrons tout de même l’adoption de ces crédits. (Mme Elodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis, et M. Jean-Noël Barrot, rapporteur spécial, applaudissent.)
Mme Nadia Essayan
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy
Le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est en hausse de 36 millions d’euros, soit plus 2 % par rapport à 2020. Si le groupe Socialistes et apparentés s’en félicite, il note cependant que les autorisations d’engagement subissent une forte baisse, de près de 9 %. Cette situation pénalise une vision à long terme de l’accueil des réfugiés qui nous semble pourtant nécessaire.
Il y a là un vrai paradoxe : la France, pays des droits de l’Homme, manque à son devoir d’accueil décent des demandeurs d’asile.
M. Bertrand Pancher
Très bien !
M. Serge Letchimy
J’en veux pour preuve les conditions sanitaires alarmantes dans les centres de rétention administrative : nous exhortons le Gouvernement à y remédier d’urgence.
Mme la rapporteure pour avis a émis de nombreuses préconisations que nous soutenons, comme le renforcement des moyens humains – cela a déjà été indiqué –, une meilleure anticipation, car c’est fondamental, la création de 200 postes au sein de l’OFPRA et l’ouverture de 4 000 places d’accueil supplémentaires.
Il faut aussi tenir compte d’une situation particulière : aux réfugiés politiques traditionnels s’ajouteront certainement, dans les années qui viennent, les réfugiés climatiques. C’est un fait indéniable et incontournable, il faut s’y préparer.
Nous insistons également sur le règlement de Dublin, qu’il faut absolument réformer, car il tend à créer une situation tout à fait indigne, et nous devons parvenir à un accord européen de qualité, clair et respectueux de la dignité humaine – je sais que vous y travaillez.
Concernant l’immigration, votre budget témoigne de votre vision négative et sécuritaire. Oui, il faut lutter contre l’immigration irrégulière : nous l’affirmons clairement et les récents événements tragiques survenus à Nice l’ont parfaitement démontré. Cependant, la volonté d’expulser le plus grand nombre en dynamisant une politique d’éloignement, ne peut être la pierre angulaire d’une politique migratoire. Madame la ministre, attention à la banalisation des idées du Rassemblement national, qui ne font qu’aggraver les ruptures au sein d’une société française, déjà très fracturée socialement.
Votre politique d’intégration, quant à elle, apparaît ambitieuse, mais nous attendons des actes.
En conclusion, malgré les efforts budgétaires – plus de 1 % –, la création de 200 postes à l’OFPRA et de 4 000 places en CADA, votre absence de vision à long terme et la politique migratoire indigne que vous menez depuis le début de la législature contraignent le groupe Socialistes et apparentés à s’abstenir. (M. Bertrand Pancher applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Aina Kuric.
Mme Aina Kuric
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021 s’élèvent à près de 1,8 milliard d’euros en autorisations d’engagement, soit une baisse importante de 8,82 %, et à 1,84 milliard d’euros en crédits de paiement, en légère hausse de 2,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.
Cette mission, qui comporte deux programmes – le programme 303 « Immigration et asile » et le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » –, se structure autour de trois grands axes d’action : la maîtrise des flux migratoires, l’intégration des personnes immigrées en situation régulière et la garantie du droit d’asile.
Le programme 303 « Immigration et asile » voit ses crédits pour 2020 portés à 1,32 milliard d’euros en autorisations d’engagement, soit une chute de 11,5 %, et 1,41 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 2,5 %. Le budget de ce programme rend presque inexistant le volet immigration, puisque la quasi-totalité des crédits est affectée à l’action no 2 « Garantie de l’exercice du droit d’asile ».
M. Fabien Di Filippo
Très bien.
Mme Aina Kuric
Ainsi, en matière de capacité d’accueil, le dispositif d’hébergement a été renforcé en 2021 de près de 6 000 places, dont 3 000 en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et 1 000 en centres d’accueil et d’examen des situations.
En outre, le plan de relance exceptionnel décidé par le Gouvernement dans le contexte de l’épidémie de covid-19, dont les crédits sont inscrits dans une nouvelle mission budgétaire, permettra le financement de 500 places supplémentaires en centre d’accueil et d’examen des situations, et de 1 500 places en centres de préparation au retour. Ces hébergements semblent être une alternative au centre de rétention administrative pour les personnes surveillées avec obligation de quitter le territoire français. J’ignore pourquoi ces hébergements sont inclus dans le plan de relance, mais il faudra en rendre les conditions d’accueil plus dignes.
Le PLF pour 2021 prévoit également une hausse des crédits consacrés à l’action « Lutte contre l’immigration irrégulière » du programme 303, qui augmentent de 15,95 % en autorisations d’engagement et de 4,05 % en crédits de paiement, pour atteindre respectivement 131 et 127,9 millions d’euros. Cette volonté de lutter contre l’immigration irrégulière se traduit par la mobilisation de nombreux acteurs à différents niveaux : sécurité des frontières, octroi des visas, interpellations, lutte contre les filières d’immigration irrégulière ou exécution des mesures d’éloignement.
Le programme 104, relatif à l’intégration, voit ses crédits en très légère hausse par rapport à 2020 : ils atteignent 433 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, budget bien faible au regard de l’ambition exprimée par le Président de la République au sujet de la qualité de l’intégration des étrangers en France. On peut toutefois saluer les crédits de l’action no 12 « Actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière », qui connaissent une hausse 9 % par rapport à 2020 et s’établissent à 58 millions d’euros en 2021. Ces crédits s’inscrivent dans la forte dynamique insufflée par le comité interministériel du 5 juin 2018, et devraient permettre de renforcer les outils dont disposent les territoires pour mettre en œuvre l’accompagnement vers l’emploi.
Enfin, il convient de rappeler que, le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté un nouveau pacte sur la migration et l’asile, annoncé comme un ensemble d’ajustements visant une meilleure solidarité et une plus grande efficacité des politiques migratoires européennes face aux manquements des États membres, dont la France.
L’Union européenne essaye depuis plusieurs années, de repenser le régime d’asile pour mieux maîtriser le phénomène migratoire, limiter les effets d’aubaine, et partager harmonieusement l’effort et les responsabilités entre les États membres. À ce titre, la France devra cette fois prendre toute sa part dans la création d’une politique migratoire commune aux États membres, afin que l’Union européenne se montre à la hauteur des défis migratoires futurs.
M. le président
La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021 :
Suite de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »;
Examen des crédits de la mission « Travail et emploi ».
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Serge Ezdra